revueculturellen4 - page 28-29

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C
ourbevoie, l’aCte de NaiSSaNCe
Louis-Ferdinand Céline est né le 27 mai 1894 à Courbe-
voie au 12 de cette Rampe du pont qui fait face au pont
de Neuilly, sur les bords de la Seine. Cette naissance en
banlieue parisienne doit un peu au hasard. Marguerite
et FernandDestouches, ses parents, ont fait l’acquisition
d’une petite boutique à cette adresse quelquesmois plus
tôt. Mais à la naissance de leur fils unique, la situation
n’est guère brillante. Leur commerce périclite ; la faillite
est inéluctable.
Le lendemainde sa naissance, l’enfant estbaptisé à l’église
Saint-Pierre-et-Saint-Paul
de Courbevoie, et est rapide-
ment envoyé en nourrice dans l’Yonne, où l’air sain de la
campagne était censé fortifier sa santé. De fait, le futur
Louis-FerdinandCéline ne vivra que quelques jours dans
sa ville natale, mais il ne cessera de brandir cette nais-
sance comme un étendard, un titre de gloire, une fierté :
«
Courbevoie, Seine, Rampe du Pont, y en a que ça emmerde
qu’il y a des gens de Courbevoie
» écrira-t-il dans
D’un châ-
teau l’autre
. Pourtant, quand Céline naît à Courbevoie,
la ville est en pleine mutation. En 1894, Courbevoie,
ce n’estpas tout à fait Paris, ce n’estplus tout à fait la cam-
pagne non plus. Un entre-deux social qui correspond
bien aux Destouches, famille socialement déclassée aux
prétentions nobiliaires anciennes.
Courbevoie sera aussi le symbole de son amitié avec
Arletty, sa « payse » de quelques années sa cadette. Cette
amitié résistera à tout. En 1951, au moment du procès
de Céline, Arletty prendra la défense de son ami écrivain
en déclarant au juge, avec son inimitable accent des
faubourgs : «
Né comme moi à Courbevoie, il n’a pas pu
trahir la France…
»
la NourriCe de Puteaux
Peu après sa naissance, le jeune Louis-Ferdinand estdonc
rapidement envoyé en nourrice dans l’Yonne. Quelques
mois plus tard, les parents décident de reprendre l’en-
fant, et de le placer chez une autre nourrice à Puteaux,
la ville voisine. De cette période et de cette nourrice, on
ignore tout. Dans sonœuvre, Céline ne l’évoque que dans
Mort à crédit
: «
De chez ma nourrice à Puteaux, du jardin,
on dominait tout Paris. Quand il montait me voir papa,
le vent lui ébouriffait les moustaches. C’est ça mon premier
souvenir
».
aSNièreS, leS immeubleS
de graNd-mère
Début 1900, toute la familleDestouches s’installe à Paris.
Après le désastreux épisode courbevoisien, Marguerite
Destouches se porte acquéreur d’un fonds de commerce
dans la capitale, passage Choiseul, dans le quartier de
l’Opéra. Pendant cette période, une forte complicité unira
Louis-Ferdinand Destouches à sa grand-mère mater-
nelle, Céline Guillou. Après une vie de labeur acharnée,
Céline Guillou avait réussi dans le commerce, et investi
ses économies dans plusieurs immeubles àAsnières, rue
Laure-Fiot. Parfois elle emmène son petit-fils visiter ses
locataires et encaisser les loyers. Dans
Mort à crédit
, Céline
relatera ses souvenirs d’enfance : «
Pour toucher le terme
c’était un drame… et la révolte des locataires. D’abord, ils
nous faisaient des misères et puis on le touchait pas entier…
Jamais… Ils se défendaient traîtreusement…Toujours leur
pompe était cassée… C’était des palabres infinies…À pro-
pos de tout ils gueulaient et bien avant que Grand-mère leur
cause…
» À cette époque, se rendre à Asnières a encore
un parfum d’aventure. Il faut franchir les fortifications,
traverser la « zone » et l’expédition commence…
À la mort de sa grand-mère en 1904, le jeune Ferdinand
est inconsolable. Les immeubles seront vendus, et l’hé-
ritage qui s’ensuivra apportera l’aisance financière à la
famille Destouches. Mais fidèle à la mémoire de son
aïeule, l’écrivain lui rendra hommage en utilisant son
prénom comme pseudonyme.
CliCHy-la-gareNNe,
le doCteur éCrit uN romaN
Peu après la guerre de 1914-1918, Louis-Ferdinand Des-
touches, se lance dans des études de médecine. Après
plusieurs années au service Hygiène de la Société des
Nations à Genève, il est de retour en région parisienne.
Avec Elizabeth Craig, sa compagne d’alors (et future
dédicataire de
Voyage au bout de la nuit
), il s’installe
comme médecin libéral, à Clichy-la-Garenne, au 36 rue
d’Alsace, au premier étage d’un immeuble très bonmar-
ché. Mais l’expérience tournera court. La clientèle se fait
rare, et le docteur ne fait pas toujours payer ses patients.
La personnalité peu commune du nouveau médecin
dénote également ; et sa ravissante amie américaine ne
passe pas inaperçue dans les rues de la ville. La concierge
de l’immeuble leur prête même une vie dissolue…
Après cette tentative peu concluante demédecine privée,
leD
r
Destouches estembauché commemédecin au dis-
pensaire municipal situé quelques rues plus loin, et dé-
ménage pour habiter Montmartre. Avec les malades
de cette banlieue pauvre de Paris, il està son aise. Il soigne
principalement des ouvriers, des tuberculeux et des
alcooliques ; leur prodigue quelques conseils d’hygiène,
et leur délivre l’ordonnance tant attendue. Si certains
de ses confrères jugent sa pratique de la médecine un
brin anticonformiste, les malades apprécient sa dispo-
nibilité, sa gentillesse, et sa patience avec les enfants.Mais
le docteur a un jardin secret. Une fois rentré chez lui,
Louis-FerdinandDestouches jette sur le papier ce qui de-
viendra son premier roman,
Voyage au bout de la nuit
,
dont certains passages sont largement inspirés de son
expérience au dispensaire de Clichy. Médecin le jour,
écrivain la nuit…
En 1932, son premier roman est publié par les éditions
Denoël et Steele, et Louis-FerdinandDestouches devient
Louis-Ferdinand Céline. En décembre 1932, à la suite
de tractations byzantines dont l’édition a le secret,
Voyage
au bout de la nuit
rate de peu le prixGoncourt,mais obtient
le prix Renaudot. Très honoré de compter un homme de
lettres parmi son personnel, le conseil municipal de la
ville deClichy vote la remise d’une somme de 5000 francs
(soit l’équivalent de la dotationdu prix Goncourt qui vient
de lui échapper) en faveur de Céline. Ce dernier, bien que
très touché par cette attention, refuse la somme.
Le succès de
Voyage au bout de la nuit
apporte la notoriété
à Céline, qui devient une personnalité en vue dumonde
des lettres. Certains journalistes n’hésitent pas à se ren-
dre au dispensaire de Clichy pour interviewer, entre deux
malades, le «
docteur qui écrit un roman
». Mais l’idylle
entre Céline et la ville de Clichy sera de courte durée. En
1936, la presse éreinte
Mort à crédit
, son deuxième roman.
La publication fin 1936 de
Mea culpa
, son pamphlet anti-
communiste fera grincer les dents d’un conseil munici-
pal majoritairement… communiste ! La publication, fin
1937, de
Bagatelles pour un massacre
, son pamphlet anti-
sémite, mettra le feu aux poudres. Son supérieur hiérar-
chique, le directeur du dispensaire de Clichy, Grégoire
Ichok, est juif. L’ambiance devient délétère, et lamunici-
palité contraint le docteur Destouches à la démission.
Désormais privé de ses revenus de médecin, il ne peut
compter que sur ses droits d’auteur pour vivre.
Hauts-de-SeiNe
Littérature
La Rampe du pont à
Courbevoie vers 1900.
Louis-Ferdinand
Destouches y naît
au numéro 11
en1894.
Collection David Alliot.
© DR
© Collection Destouches Gibault - Fonds L.-F. / Archives IMEC
« Fidèle à la mémoire
de sa grand-mère d’Asnières,
l’écrivain lui rendra hommage
en utilisant son prénom comme
pseudonyme. »
Céline et sa compagne
du temps de Clichy,
Elizabeth Craig. 1931.
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