Chronique transylvaine I, II et III de Miklós BANFFY

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Vol. 1 – 758 pages – 15,80 €
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Parution : 1934, 1937 et 1940 en Hongrie, traduite en français en 2002, 2004 et 2006, par Phébus. C’est une traduction anglaise dans la décennie 1990 qui fera connaître au monde cette œuvre somptueuse.

Traduit du hongrois par Jean-Luc Moreau

Le style, le genre : œuvre magistrale, fresque historique à la fois romanesque et politique qui ne se lâche pas une fois commencée.

L’auteur : Miklós est né à Kolozsvár, en Transylvanie austro hongroise (devenue Cluj-Napoca en Roumanie) le 30 décembre 1873 et il est mort à Budapest (Hongrie) le 5 juin 1950 dans une grande pauvreté (exproprié de ses demeures et de ses biens par le régime communiste).Bánffy_Miklós_1916-7 Il est issu d’une des plus vieilles familles aristocratiques transylvaines. En 1901 il devient député transylvain au parlement de Budapest, puis entre 1913 et 1918 intendant du théâtre national et de l’opéra de Budapest. Il joue un rôle politique éminent en devenant un éphémère ministre des affaires étrangères de Hongrie en 1921, il est un des acteurs des nombreuses conférences internationales qui vont se succéder après la fin de la première guerre mondiale. Il n’obtient pas ce pourquoi il a accepté ce poste : la révision des frontières issue des traités de 1918, il quitte le gouvernement en 1922. De retour en Transylvanie il se met à écrire cette trilogie publiée entre 1934 et 1940 et en parallèle a illustré de ses dessins des œuvres littéraires comme celles de Béla Balázs.

Les lieux : l’empire austro hongrois, essentiellement Hongrie et Transylvanie.

L’histoire : elle commence en 1904 dans l’univers aristocratique hongrois où tout tourne autour des fêtes, des salons de jeux, des bals, des réunions hippiques et de grandes chasses. Tout cela est ponctué de duels, de chassés croisés amoureux, de courses à la modernité, parler français ou anglais, s’habiller de la façon la plus recherchée, avoir un avis sur tout dans les fumoirs en marge des fêtes dans les différents châteaux. Elle s’achève dans le troisième tome en 1914 avec le début de la première guerre mondiale.

C’est dans le château des Lacszók à Vár-Siklód que tous les équipages convergent après être passés par le champ de courses de Szentgyörgy, il s’y donne une réception suivie d’un grand bal. C’est là que nous ferons connaissance avec les principaux personnages de la trilogie.

Le personnage principal est le comte Bálint Abády jeune homme brillant mais souvent peu conscient des méchancetés et des égoïsmes humains. Docteur en droit et attaché d’ambassade pendant deux ans il devient un peu par hasard candidat à la députation de la circonscription de Lélbánya et veut rester indépendant de tout parti. Sa mère la comtesse Róza règne sur son domaine de Dénestornya, terres, chevaux, forêts et gens.

Le comte László Gyeröffy (le cousin de Bálint) est un musicien, il a une histoire douloureuse il n’a pratiquement pas connu sa mère qui s’est enfuie, alors qu’il avait à peine 3 ans, avec un autre homme, son père peu après s’est suicidé.

Adrienne Milóth jeune femme très belle et peu commune dans ses pensées et ses passions est mal mariée avec un être étrange, Pal Uzdy. Elle est une relation amicale de Bálint, on comprend vite qu’il y a bien autre chose que de l’amitié.

La famille Miloth c’est aussi Margit et Judith, les sœurs d’Adrienne, toutes les deux à marier. Klára Kollonich jeune fille amoureuse de László, confiante et pétrie d’illusions. Les Kendy, puis madame Gyalakuthy et sa fille Dodo, Tihamér Abonyi et sa femme Dinóra, Gaspar Kadacsay dit Gaszi, les frères Alvinczy, Jan Slawata diplomate, Egon Wickwitz lieutenant de hussards à Brassó, etc.

Tous passent leur temps à commenter les derniers scandales, à se déliter dans la passion du jeu et ne pensent qu’aux divertissements, inconscients de ce qui se trame à Budapest et dans l’Empire : la montée des nationalismes et les envies de sécession, la difficile cohabitation des minorités, les revendications hongroises face au pouvoir central à Vienne. Tout craque.

L’autre héroïne de ce roman c’est la Transylvanie (qui signifie au-delà des forêts) aujourd’hui située en Roumanie. Les descriptions de la nature sont éblouissantes, région montagneuse parée de magnifiques forêts, d’herbages, de châteaux. Elle foisonne d’animaux de toutes sortes, plus du tiers de tous les grands carnivores sauvages en Europe y vivent : ours bruns, loups, lynx, chats sauvages, aigles royaux ; ainsi que des bisons, cerfs, etc.

Mon avis : il existait une émission sur France Inter « Un été avec… », pour moi cela a été un été avec… l’empire austro hongrois et quel été avec cette formidable œuvre, les écrivains hongrois quel talent ! Dans mes pensées je suis encore à Dénestornya ou à Maros-Szilvás, difficile de se mettre à lire autre chose !

La chronique est un peu plus longue que d’habitude mais à la mesure de ces trois livres : Vos jours sont comptés ; Vous étiez trop légers ; Que le vent vous emporte : Quels titres particulièrement bien choisis !

C’est un roman que l’on suit avec un grand intérêt que ce soit pour les destins individuels des nombreux personnages ou pour le fil historique et politique de cet empire en fin de course. Au début il faut s’accrocher un peu pour cerner les noms de tout ce beau monde, en plus avec des noms compliqués à retenir, le hongrois étant une langue particulière. La recension des faits politiques est à l’image de l’Empire : extrêmement complexe, il faut suivre… j’avoue avoir sauté quelques passages très techniques ! L’auteur est à son aise pour nous faire saisir au plus près les chicaneries de toutes les tendances au Parlement : le clan des soixante-septards, des quarante-huitards, le groupe d’Apponyi (ancien parti national), le parti constitutionnel d’Andrassy, l’extrême gauche, les partisans de l’autonomie hongroise, les fidèles de la double monarchie, les libéraux de Tisza, les revendications des représentants croates, sicules, transylvaniens, roumains, et j’en passe. De tout ce magma un mouvement transylvain constitué d’hommes politiques de toutes tendances voit le jour, « ils constatent que le gouvernement central ne comprend vraiment ni l’esprit ni la situation particulière de leur région, qu’il la tient pour une province de second ordre, qu’elle ne tire presque aucun avantage de ses propres ressources, que la capitale capte ou étiole peu à peu ses richesses (…) » !

L’aristocratie, quand elle se sent concernée par quelque chose, ne se soucie que des préoccupations intérieures : « On ne parlait guère d’autre chose. Les événements de l’étranger n’intéressaient personne. Ni la révolution en Russie, ni les complications toujours plus inextricables de la question crétoise, ni l’excursion marocaine de l’empereur Guillaume, ni même, qui plus est, le programme de la marine de guerre allemande qui venait alors au grand jour pour la première fois, ne retenaient l’attention. »

Ce manque d’intérêt était encore plus largement partagé : « La politique, dans la haute société de Pest, n’intéressait qu’une très faible proportion d’individus. On avait autre chose en tête, des choses ô combien plus importantes. Ainsi, au printemps, les courses de chevaux, tout aussi passionnantes que les coups de fusil en automne. Pour convoquer une session de la Chambre haute, une assemblée de parti ou une réunion de club, il fallait tenir compte en été de la chasse aux perdrix, en septembre de la cervaison, à l’entrée de l’hiver des battues aux faisans ; au printemps il fallait connaître le calendrier des courses. »

Le roman montre très bien également la déconnexion entre ce monde et celui des gens ordinaires : « (Bálint) découvrait pour la première fois les dures réalités de la vie. Jusque-là il n’en avait pas la moindre idée. Il avait vécu dans un monde abstrait où l’on ne souffrait guère que pour des affaires de cœur, non moins cruellement certes, car la douleur est une chose éminemment subjective, mais jamais il n’avait eu connaissance d’une situation analogue à celle de cette future mère qui ignorait de quoi elle allait vivre, qui ne savait pas si elle mangerait le lendemain et en était réduite à chercher dans quel coin elle pourrait mettre au monde son enfant. C’était inattendu, étonnant, bouleversant. Il ne généralisait pas. Il ne pensait pas que des milliers et des milliers d’êtres humains vivaient ainsi toute leur vie, il ne pensait pas à leur misère, cela non plus ne lui venait pas à l’esprit. Il ne voyait qu’un cas isolé, une horrible infamie, la résultante d’un faisceau d’incroyables méchancetés. »

Tout au long du roman je n’ai pu faire autrement que trouver des parallèles avec notre monde contemporain (en premier lieu le problème des nationalités) et sur la raison d’être de l’Europe (primordiale) : « Elargir la monarchie aux peuples des Balkans ? L’engraisser pour en faire un empire de cent millions d’habitants ? Faire entrer dans le même enclos les nations les plus diverses par leur passé et leur culture ? S’imaginer qu’on sera plus fort, ne pas penser un seul instant qu’on pourrait en être affaibli ? »

Je cite encore ce passage sur la fragilité de la paix : « Au cours de l’été 1911, la longue période de paix qui s’était ouverte en 1878 s’acheva. Au premier trimestre, rien n’avait annoncé ce changement, sinon d’infimes indices, presque imperceptibles, dont le sens ne devait apparaître que beaucoup plus tard, dont les corrélations ne deviendraient claires qu’au bout de nombreuses années et seulement aux yeux de qui se donnerait la peine de les rechercher. De menus événements venaient de temps à autre montrer que la tranquillité de l’Europe n’était plus ce qu’elle avait été. (…) Que le prince Nikita, pour le jubilé de son règne, érige le Monténégro en royaume, que les monarques d’Italie, de Bulgarie et de Serbie soient conviés aux cérémonies, il n’y a là, semble-t-il, qu’une fête de famille, rien ne laisse pressentir l’alliance qui va s’ensuivre. Quelques mois plus tard, des troubles éclatent en Albanie, mais nul ne peut imaginer que les deux événements soient liés, les Albanais n’ont-ils pas toujours été quelque peu turbulents ? A l’autre bout de l’Europe, nouvelle surprenante : la Hollande veut fortifier le port de Flessingue. Une telle décision, émanant du pays le plus pacifique du continent, soulève une tempête. A Paris, à Londres, la presse voit là un projet allemand, une entourloupette de l’empereur Guillaume qui veut sûrement disposer d’une base pour sa flotte, à quelques heures à peine des côtes anglaises et de la Manche. (…) Cette tempête miniature s’apaise donc, tout comme celle, beaucoup plus violente provoquée deux ans plus tôt par l’annexion de la Bosnie Herzégovine. »

L’aspect purement romanesque est très plaisant, on suit avec addiction le labyrinthe des amours contrariés des uns et des autres, les secrets de famille, les interrogations sur le bonheur telles celle de Kadacsay dans le deuxième volume.

Le mariage, les amours clandestins sont de grandes affaires dans ce milieu très fermé où tout le monde se côtoie en permanence et se mélange, tout cela au son des chants des troupes de Tziganes.

Pour résumer : à conseiller aux passionnés de cette page d’histoire que fut l’Autriche-Hongrie et son formidable bouillonnement intellectuel et artistique, et à ceux qui aiment les sagas purement romanesques : tout cela est magnifiquement imbriqué, avec des personnages à rapprocher de ceux chers à Lampedusa.

 

 

 

 

 

 

 

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