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Artistes XXI siècle

Bertrand Lavier

Bernard Lavier, l’artiste qui explore les limites de Marcel Duchamp et des nouveaux réalistes au XXI siècle. Né en 1949 à Châtillon-sur-Seine, en France, cet homme n’ayant pourtant pas eu de formations artistiques, une rétrospective lui est faite en son nom au Centre Pompidou en 2012 où est présentée l’œuvre qui persiste dans le souvenir : « Giulietta ». C’est sur le trajet de son domicile dans le 6e arrondissement de Paris à l’École nationale supérieure d’horticulture de Versailles qu’il découvre l’art à la fin des années 1960. Il passe en effet tous les jours rue Bonaparte devant la Galerie Daniel Templon où sont exposés les grands artistes de l’époque, Joseph Kosuth, Dennis Oppenheim…  Très vite, il commence à réaliser des œuvres inspirées de leurs travaux. 

Connu pour ses « objets peintures » et ses juxtapositions d’objets  comme le fameux canapé sur congélateur La Bocca/Bosch, ses objets peints de leur propre couleur (le piano Steinway & Sons) ou plus récemment ses objets soclés (ainsi l’ours en peluche Teddy). Objets que l’artiste chaque fois met à distance, muséifie pour mieux révéler notre attachement à eux. Bertrand Lavier joue sur le terme d’œuvre d’art et sur son statut au quotidien en questionnant l’histoire de l’art et les stéréotypes. 

Les peintures du chantier commencé en 1974 avec Rouge géranium par Duco et Ripolin sont une démonstration simple et efficace de la différence de nuance entre deux coloris qui portent pourtant un nom identique. Lavier pointe le fait que ces deux fabricants, Duco et Ripolin, se sont évertués à trouver une dénomination qui leur semblait singulière, ou identitaire, alors qu’elle désigne deux réalités différentes.

S’agissant de noms de plantes, on peut interpréter les peintures de cet ensemble à l’aune des connaissances de Lavier en botanique. « Lorsque tu étudies la botanique, tu apprends qu’il y a 450 variétés de chênes… avec cette discipline systématique, tu pénètres dans un cauchemar : le langage est là pour essayer de cerner la réalité qui se dérobe indéfiniment. » Ce qui vaut pour les plantes vaut aussi pour les produits industriels que sont les peintures. Pour Lavier, les couleurs industrielles sont des readymades avec lesquels on peut renouer avec la beauté. Il en résulte ici un tableau qui a l’élégance des monochromes les plus minimalistes et l’humour des œuvres pop.

Mandarine par Duco et Ripolin, 1994
Peinture glycérophtalique sur toile, 250 x 220 cm
Collection de l’artiste
Giulietta, 1993
Automobile accidentée sur socle, 166 x 420 X 142
Musée d’art moderne et contemporain, Strasbourg

Cette pièce appartient au chantier des « ready destroyed » qui fait évoluer le readymade du côté du tragique. Giulietta, ainsi intitulée d’après le nom du modèle emblématique de la marque Alfa Roméo, est une voiture accidentée que Bertrand Lavier a achetée telle quelle dans une casse, après s’être assuré que l’accident subi n’avait pas été mortel. Comme l’indique le terme « ready » repris de Duchamp, l’artiste ne l’a pas modifiée. Elle représente le mythe moderniste, l’histoire de la sculpture contemporaine, le cinéma et la littérature. Giulietta désigne un prénom féminin, en lien avec la couleur rouge flamboyante et très brillante de la voiture face à la domination virile. Or, le rouge peut aussi être interpréter comme symbole de violence, de sang. L’artiste fait ainsi par ce procédé une comparaison entre une femme et une voiture, entre la beauté italienne et la mort, entre le désir et l’angoisse.

Mais à la différence du grand pionnier, Lavier a choisi cet objet pour la charge émotionnelle et l’amorce de narration qu’elle suggère. Et sans doute aussi pour sa beauté. Lavier lui-même, avant de réaliser cette pièce, avait eu un accident. En outre, cette voiture rouge revient sur l’idée énoncée avec fracas par les futuristes au début du 20e siècle qu’une automobile est plus belle qu’une œuvre d’art. Ainsi était posée la question de la beauté dans l’art et le monde modernes. Grand amateur de voitures il a déclaré un jour qu’Enzo Ferrari l’avait autant impressionné que Marcel Duchamp, Lavier dépasse le rêve futuriste en réconciliant la beauté d’une voiture et celle d’une œuvre d’art.

La lumière artificielle utilisée permet de mettre en avant chaque petite égratignure et bosses de l’automobile. Ainsi, Le spectateur en voyant cette œuvre ne peut s’empêcher d’imaginer le scénario de la catastrophe, à la recherche d’indices.

Retrouvez le travail de Bertrand Lavier à la galerie Kamel Mennour à Paris.

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