Au Mirail, des habitants de l'immeuble le plus vétuste de Toulouse : "On fait tout pour nous faire partir"

SÉRIE / Épisode 2. A la Reynerie, des habitants se mobilisent contre la destruction programmée de barres d'immeubles et déplorent qu'aucune autre solution ne soit étudiée.

A la Reynerie, des habitants se mobilisent contre la destructions programmée de barres d'immeubles.
A la Reynerie, des habitants se mobilisent contre la destructions programmée de barres d’immeubles.
Voir mon actu

Depuis quelques années, les grandes barres d’immeubles vouées à la destruction dans le quartier populaire de la Reynerie, au Mirail, se vident peu à peu de leurs habitants. Dans ces immeubles, certains habitants refusent de se résoudre à quitter leurs logements.

C’est notamment le cas dans l’immeuble Gluck, où 39 familles y vivent encore (169 relogements ont été réalisés sur 208 logements) et à Messager, où il reste simplement 19 familles sur un total de 260 logements. 

À lire aussi

« On veut me jeter comme un malpropre »

Dans l'appartement de Mohamed Fayek, au sein de l'immeuble Messager, quartier de la Reynerie, à Toulouse.
Dans l’appartement de Mohamed Fayek, au sein de l’immeuble Messager, quartier de la Reynerie, à Toulouse. (©Gabriel Kenedi / actu Toulouse)

Mohamed Fayek nous reçoit dans son spacieux appartement T6 de 129m2, situé au cinquième étage de l’immeuble « Messager », construit lors de l’édification des grands ensembles du Mirail, dans les années 70. Voilà 17 ans que M. Fayek est propriétaire de son logement. Il est aujourd’hui l’un des 19 derniers habitants (17 propriétaires et 2 locataires) à vivre encore de cet immeuble voué à la démolition depuis 2010. 

« Cet appartement représentait notre retraite avec notre épouse, glisse-t-il. J’ai investi pour devenir propriétaire comme tous les Français. J’ai toujours un crédit, que je dois rembourser jusqu’en 2023. Et là, on veut me jeter comme un malpropre. Ils (Le bailleur social, le groupe Les Chalets n.d.l.r) me proposent de l’acheter 1200 euros le mètre carré alors que tous les prix flambent ». 

Soit environ 150 000 euros. « Pour cette somme, on me propose un T3 à la Cité Madrid ou à Ancely. Ou alors, on nous suggère de redevenir locataires. Mais je n’en n’ai pas envie », ajoute Mohamed Fayek. Dans l’attente d’une solution, il reste donc avec sa femme et d’autres « résistants », comme ils s’appellent en souriant.

« L’immeuble est à l’abandon, et pourtant nos charges ne diminuent pas », déplore-t-il. Handicapé, il peine à se déplacer. « J’ai vraiment du mal à monter ou descendre les escaliers. Et l’ascenseur est souvent en panne », constate-t-il. 

Un immeuble qui fait peine à voir

Le local où sont déposées les poubelles a été victime d'un incendie.
Le local où sont déposées les poubelles a été victime d’un incendie. (©Gabriel Kenedi / actu Toulouse)

De l’extérieur, l’immeuble fait peine à voir. Le local poubelles a brûlé il y a environ un mois et le long squat des nombreux immeubles vides, qui a duré deux ans et pris fin en septembre 2020 a laissé des traces : de nombreuses vitres sont brisées et malgré le temps qui passe, les logements vides sont toujours sans dessus-dessous. Quant aux parties communes, elles sont plutôt sinistres. La lumière fait souvent défaut et les boîtes aux lettres sont devenues des cachettes de la marchandise des dealers du quartier régulièrement visitées par la police. 

Vidéos : en ce moment sur Actu

Khadija Arjaoui vit dans un appartement de l’immeuble, à côté d’un appartement qui a été squatté. « Il n’y a plus de lumière depuis trois mois. On a des punaises de lit partout…  Et l’ascenseur ne marche pas », explique-t-elle. 

Au pied de la tour, Karine Bellemare regarde vers le sommet de Messager. « Quand on le regarde de l’extérieur, je peux comprendre les gens qui se disent qu’il faudrait le détruire ! », acquiesce-t-elle. Cette habitante, qui a hérité avec sa sœur de l’appartement familial, est pourtant une farouche opposante à la démolition des immeubles dits Candilis, dont la qualité des logements traversants et spacieux sont souvent vantés par ceux qui y ont habité. 

« Il y a une volonté réelle de non entretien des bâtiments qui sont voués à la démolition. On décourage les locataires de ne pas y rester et d’aller ailleurs pour ne pas avoir à subir des conditions de vie dégradées. Pourtant, les gens, quand on les interroge, ils aiment leur logement ! Le non entretien des parties communes, la délinquance en pied d’immeuble, ça les fait partir. Mais pourtant, on ne règle pas les problèmes sociaux en rasant de la pierre« . 

Des parties communes de l'mmeuble Messager.
Des parties communes de l’mmeuble Messager. (©Gabriel Kenedi / actu Toulouse)
Les boîtes aux lettres éventrées à la suite d'une descente de police.
Les boîtes aux lettres éventrées à la suite d’une descente de police. (©Gabriel Kenedi / actu Toulouse)
A Messager, de nombreux appartements ont été squattés pendant deux ans. Ils en portent encore les traces.
A Messager, de nombreux appartements ont été squattés pendant deux ans. Ils en portent encore les traces. (©Gabriel Kenedi / actu Toulouse)

« On est à dix minutes du Capitole en métro »

Derrière la volonté de raser ces grands ensembles de 15 étages, ces habitants y voient ni plus ni moins qu’une logique de gentrification qui s’étend désormais jusqu’au Mirail.

« Le projet de la mairie, c’est que les gens les plus pauvres quittent Toulouse. C’était le cas il y a quelques années à Saint-Cyprien, c’est le cas encore aujourd’hui à Arnaud-Bernard. Et on veut faire la même chose au Mirail. Ici on est à dix minutes du Capitole en métro. Dans quelques années, ça vaudra de l’or mais le problème, c’est que les habitants d’ici n’en n’ont pas, de l’or ! », estime Jean-Louis Siksik, habitant du quartier et membre de l’Assemblée des habitants de la Reynerie. 

« On va remplacer ces immeubles par des petits cubes comme on en fait partout. Avec des appartements plus chers, moins grands et moins agréables. Il y a tout une vie qu’on fait disparaitre et les gens sont considérés comme de la poussière », déplore-t-il encore. 

La question du relogement des habitants est épineuse. « Ici vous avez des T5 à 400 euros. Les loyers qu’on propose aux habitants sont entre 100 et 300 euros plus chers ! Il y a des gens qui ne peuvent pas se le permettre et qui s’éloignent », ajoute Jean-Louis Siksik. 

« On veut nous éloigner de Toulouse ! Les bailleurs sociaux proposent aux habitants des relogements à Cugnaux, à Cazères, à Pamiers ou à Muret », renchérit Karine Bellemare. 

Le bailleur social : "conscient du bouleversement que peut engendrer le changement de logement"

Sollicité, le maire de quartier Gaëtan Cognard, indique que "certaines familles, pas la majorité, préfèrent rester dans leur quartier. C'est évidemment possible et cela fait partie des solutions proposées par les bailleurs sociaux. Quand vous avez passé parfois 40 ans de votre vie dans un logement, c'est compliqué d'envisager de partir. Ces gens-là, il faut les accompagner mieux, et c'est ce qu'on essaye de faire. Pour autant, cela ne doit pas remettre en cause la globalité de notre politique de renouvellement urbain", indique l'élu.

Sollicité par Actu Toulouse, le groupe Les Chalets indique être "conscient du bouleversement que peut engendrer le changement de logement de ses
locataires". Le bailleur social explique avoir signé, en décembre 2019, avec les associations de locataires une convention de relogement des locataires des Chalets de l’immeuble Gluck pour accompagner au mieux les locataires concernés. "Le Groupe des Chalets a mis en place une organisation spécifique chargée du relogement avec deux chargées de relogement, travailleurs sociaux spécialisés, interlocuteurs privilégiés du locataire, qui assurent un accompagnement « sur-mesure » des ménages dans les différentes étapes jusqu’à leur relogement. Chaque relogement fait l’objet de rencontres individuelles avec le locataire (...). Ces entretiens permettent au locataire d’exprimer ses attentes quant au type et à la localisation du futur logement souhaité et d’exposer ses éventuelles contraintes particulières. (...) En fonction de cet entretien, le chargé de relogement propose au locataire jusqu’à 3 offres de relogement adaptées à sa composition familiale et financière. Le déménagement peut être soit pris en charge par le locataire en contrepartie du versement d’un forfait de 1000 € par le Groupe des Chalets, soit pris en charge par le Groupe des Chalets. Dans ce cas, le Groupe prend également en charge les frais d’installation (raccordement au réseau de distribution d’eau, fermeture et ouverture des compteurs électricité / gaz, le transfert des abonnements téléphoniques et internet existants et les frais de réexpédition du courrier).
Chaque situation est ainsi étudiée et chaque proposition prend en compte la composition familiale, la typologie, le confort qu’il soit thermique ou de par ses équipements, l’adaptation aux personnes à mobilité réduite ou aux seniors et la surface adaptée. Le relogement dans le cadre du NPNRU est une procédure réglementée dans un cadre national, chaque relogement est ainsi validé par l’Etat".

Réhabilitation plutôt que destruction ? 

L'immeuble Messager, vu de l'extérieur.
L’immeuble Messager, vu de l’extérieur. (©Gabriel Kenedi / actu Toulouse)

Pour les habitants qui s’opposent à la destruction des immeubles Gluck, Grand D’Indy et Messager, la solution passerait par une réhabilitation. Ils déplorent que cette option n’ait pas été suffisamment étudiée.  « Il n’y a aucune étude sérieuse qui a été réalisée ! Regardez ce qui a été fait au Petit Varèse (un immeuble situé à quelques encablures de Messager, ndlr). Les logements n’ont pas été détruits mais rénovés et ça a été plutôt bien fait ! », souligne quant à elle Catherine Beauville, habitante du quartier et historienne. Elle évoque une « catastrophe patrimoniale » à venir. 

« Je ne pense pas que ça soit un cauchemar de vivre ici, bien au contraire. Le Mirail était un projet architectural incroyable, étudié par toutes les universités du monde entier. Des architectes de Suède, d’Allemagne, d’Iran sont venus ici. Démolir, ça serait catastrophique. On peut réhabiliter, réimaginer. Ca se fait ailleurs mais pourquoi pas ici ? ». 

Dans un troisième épisode, Actu Toulouse partira à la rencontre d’architectes qui s’opposent également à la destruction de ces grands immeubles. 

Suivez toute l’actualité de vos villes et médias favoris en vous inscrivant à Mon Actu.

Dernières actualités

Actu Toulouse

Voir plus

Vos journaux

Cote Toulouse
édition Ct

jeudi 25 avril 2024 Lire le journal

Je m'abonne
Cote Toulouse, Une du jeudi 25 avril 2024

La Voix Du Midi
édition La Voix Du Midi - Lauragais

jeudi 25 avril 2024 Lire le journal

Je m'abonne
La Voix Du Midi, Une du jeudi 25 avril 2024