Quand le peintre Eugène Delacroix venait « changer d'air » dans le Lot

Durant l'automne 1820, le jeune artiste Eugène Delacroix se rend à Souillac et Sarrazac dans le Lot, chez sa sœur Henriette qui a épousé un Lotois.

Eugène Delacroix à 39 ans (Autoportrait 1837). L'artiste a séjourné deux  fois à Cressensac-Sarrazac, où résidait sa soeur.
Eugène Delacroix à 39 ans (Autoportrait 1837). L’artiste a séjourné deux fois à Cressensac-Sarrazac, où résidait sa soeur. (©DR)
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Bâti sur un promontoire dominant la rive droite de la Tourmente, le château de Croze se trouve sur la commune de Sarrazac près de Cressensac dans le nord du Lot. Édifié à la fin du XVe siècle par un procureur de la vicomté de Turenne, il est la demeure de la famille de Verninac.

Raymond de Verninac, né à Cahors en 1762, est issu d’une famille de robe originaire de Souillac. Arrivé très tôt à Paris, partisan discret de la Révolution, il est préfet sous le Consulat de Bonaparte. Disgracié par Napoléon en raison de ses opinions républicaines, il est l’époux de la sœur d’Eugène Delacroix, Henriette, qui a épousé en 1797 ce diplomate qui vit à Souillac et au château de Croze en limite de la Corrèze.

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C’est son neveu, Raymond de Verninac qui commandera l’expédition chargée de ramener, depuis le temple de Louxor jusqu’à la place de la Concorde à Paris, l’obélisque offerte au roi Louis-Philippe.

En 1820, Delacroix réside plusieurs semaines dans le Lot

« Ce Souillac que tu vois en tête de ma lettre, est le pays de mon beau-frère… Encore faible comme une pauvre herbe sans soutien, je suis venu dans la famille chercher un changement d’air » écrit le peintre à son ami Soulié.

Dans la famille Delacroix, les relations sont excellentes : « Il n’est pas de prévenances dont je ne sois ici comblé. Ce sont de bien bonnes gens. Les repas durent des heures parce que sur le déclin, les souvenirs d’enfance se réveillent et ouvrent les cœurs des frères et des sœurs éloignés les uns des autres ».

Âgé alors de 22 ans, le jeune artiste découvre la région. Touché cette année-là par des fièvres à répétition, il vient ici, en convalescence.

Biographie d'Eugène Delacroix (1798-1863)

Né dans la région parisienne, Eugène est le fils de Charles Delacroix, ministre des Relations Extérieures au début du Directoire et de Victoire Oeden. Orphelin à 7 ans, il est pris en charge par Henriette sa sœur, épouse Verninac (de 18 ans son aînée). Laquelle restera connue grâce au « Portrait de Madame de Verninac » peint par Jacques-Louis David en 1799, aujourd'hui exposé au Musée du Louvre. Après des études aux Beaux Arts, il est vite considéré comme le principal représentant du romantisme dont la vigueur correspond à l'étendue de sa carrière. À 34 ans, il part au Maroc et en Algérie « croquer sur le motif » l'intimité des familles, juives en particulier. Grand succès ! Sa réputation est établie et lui permet de recevoir d'importantes commandes de l'État. Il peint sur toile et décore les murs et plafonds des monuments publics. Reconnu au Salon de 1824, il produit des œuvres s'inspirant de l'Histoire ou de la Littérature mais aussi des œuvres contemporaines (comme « La liberté guidant le Peuple »). Il décède à Paris en 1863.

Dès son arrivée, Delacroix entreprend de mettre sur carnets, les points de vue qui retiennent son attention. Les campagnes qu’il traverse l’enchantent : « Ce ne sont que des montagnes tapissées jusqu’au haut de prairies » écrit-il depuis Souillac, le 20 octobre à un autre ami Pierret.

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« Pour fixer les aspects multiples de cette nature, il faudrait des mois entiers ». Et moins de fatigue… « Car quand la fièvre me prend, adieu peinture, adieu tout. Il me faut tout quitter ».

Si au terme de ce premier voyage, Delacroix n’a laissé semble-t-il, aucune œuvre, ce n’est visiblement qu’à contrecœur, affaibli par son état de santé.

Son deuxième séjour à Croze

En 1855, le peintre reprend le chemin du Lot. Voyage mélancolique. Sa sœur et son beau-frère sont décédés. Accueilli par des cousins, cette fois au château de Croze uniquement, il tient à revenir sur ces lieux chargés de chers souvenirs.

Parti de Paris le 10 septembre, il prend le train jusqu’à Argenton, gagne Limoges en voiture puis rejoint Brive dans un « coupé de diligence en tête à tête avec un brigadier de gendarmerie très convenable ». C’est au cours de ce voyage qu’il porte plus d’attentions aux terroirs qu’il traverse (Limoges, Uzerche, Brive).

Depuis le château du Lot, observant la vallée encaissée, le peintre rehausse à l’aquarelle ses croquis : « Le 15 septembre, charmé de cet endroit, je dessine les montagnes une partie de la journée. Je dessine après le déjeuner le joli vallon où François a planté des peupliers, note-t-il. La négligence qui est partout dans ce pauvre Croze, et qui m’avait d’abord choqué, a fini par me plaire. Rien n’y ressemble à nos habitations d’aujourd’hui. L’herbe pousse là où elle veut, la maison se conserve toute seule ».

« Cette nature me plaît et réveille en moi de douces impressions »

À 22 ans, Delacroix venait de Paris et n’avait jamais traversé « de pays de montagnes », « les pays des châtaignes » comme l’appelait le bon La Fontaine. Mais en quelques semaines, il a bien eu le temps de saisir les traits essentiels des paysages du Quercy où « les contours de ces belles montages bleues sont si coulants et si variés, si fins, si fugitifs », où « les flots clairs et écumants de petites rivières serpentent émaillées dans les bords plantés de peupliers ».

À 57 ans, Delacroix qui a connu la consécration, est devenu peintre officiel du second Empire.

Après les années romantiques, le marquant voyage en Afrique du Nord de 1832, l’artiste subit maintenant de sévères critiques. Afin d’obtenir des commandes, il doit se plier à des obligations et en assumer les contraintes. Cette vie parisienne mondaine lui paraît lourde, trop intense et il en souffre.

Avant ses dernières années ruinées par une santé défaillante qui le plongera dans une grande solitude, ses journées en campagne lotoise vont rester un enchantement.

Delacroix retrouve Croze et son calme. Là, depuis sa chambre, « frappé dans le lointain par la vue du château de Turenne perché sur un rocher comme sur un piédestal », il prend note dans son journal, croque esquisses, dessins et aquarelles. Son engouement pour la région est toujours bien présent : « Cette nature me plaît et réveille en moi de douces impressions ».

Au musée du Louvre, l’aquarelle « Vue panoramique entre Brive et Souillac » témoigne toujours de son passage en Quercy en 1855. « Comment décrire ce que je trouve attachant dans ce lieu ? C’est un mélange de toutes les émotions agréables et douces au cœur de l’imagination ».

L’élégante demeure familiale de Sarrazac, havre intime et presque secret, diffuse chez Delacroix le charme ressuscité des temps à jamais évanouis.

ANDRÉ DÉCUP

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