Interview. Cédric Klapisch : « J’ai le même rapport avec les réseaux sociaux qu’avec l’alcool »

Cédric Klapisch était à Évreux à la fin du mois d’août pour présenter son film en avant-première dans le cadre du festival 6néma, organisé par le cinéma Pathé.

Cédric Klapisch à Evreux.
Cédric Klapisch à Evreux. (©D.CH.)
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Le nouveau Klapisch est sorti mercredi sur les écrans, Deux Moi, ou l’histoire de deux ultramodernes solitudes parisiennes. Cédric Klapisch était à Évreux à la fin du mois d’août pour présenter son film en avant-première dans le cadre du festival 6néma, organisé par le cinéma Pathé. À cette occasion, il nous avait accordé un long entretien. Extraits.

Durant le festival 6néma, Yvan Attal (Mon chien stupide) et Nicolas Pariser (Alice et le Maire) nous ont dit leur lassitude de filmer Paris. Vous, c’est tout le contraire.
Cédric Klapisch : Oui, parce que j’ai beaucoup filmé ailleurs. Ça faisait longtemps que je n’avais pas filmé ma ville, vraiment. C’est un retour, j’en avais besoin. Comme j’ai ressenti, à un moment, de partir. Avec toute la suite de films de l’Auberge espagnole, il y avait une volonté de voyager. Y compris avec Ce qui noue lie, en Bourgogne, où je me suis rendu compte que je n’avais jamais filmé la campagne.
Pourquoi ce sujet assez sombre ?
On est dans une époque de feel good movie, où les réseaux sociaux sont tellement tournés vers la mise en scène du bonheur, que je me disais : il faut parler des moments où ça ne va pas bien. Pour moi, le vrai optimisme, c’est de dire : on peut parler des moments où ça ne va pas bien pour dire comment on fait pour s’en sortir. Et pour être optimiste et positif avec ça. C’est le but du film. Ne pas avoir peur de parler de gens qui vont mal pour dire comment ils s’en sortent. Et je dis bêtement que parler à des gens, c’est plus efficace. Je ne sais pas pourquoi c’est tabou d’aller voir un psy.
C’est peut-être admettre qu’on ne va pas bien, c’est afficher une faiblesse.
Oui, c’est ça. Et comme l’époque veut que tout le monde aille bien. Ou, en tout cas, on a l’impression que tout le monde va bien parce que sur Instagram on ne voit que des gens heureux qui mettent en scène leur bonheur. Je crois que ça accentue le fait qu’il faut aller bien. C’est difficile de se sentir mal. Les gens qui sont en dépression au boulot, qui font un burn-out, qui travaillent trop, qui stressent, les chagrins d’amour, les deuils, il y a beaucoup de façon de ne pas aller bien.
Ça vous est arrivé ?
J’ai eu une mini dépression quand j’avais 20 ans. C’était lié à mes études, un truc que j’avais mal supporté. Je ne suis pas allé voir quelqu’un, mais pendant presque deux mois je n’arrivais plus à dormir. J’avais un vrai trouble du sommeil. D’un coup. Ça m’a fait flipper. J’ai fait un rêve et j’en ai parlé à quelqu’un qui m’a expliqué ce que cela voulait dire. Le lendemain, je dormais. Ça m’avait vraiment frappé, c’était vraiment le pouvoir de la parole. Quand j’ai eu 30 ans, c’était lié à une séparation. Je suis allé voir quelqu’un. Six mois. J’ai vu comment je n’allais pas bien et comment cette personne m’a aidé à aller mieux. Ça a été quelqu’un d’important dans mon développement personnel.
Votre mère, dans la réalité, est psy. Et, bizarrement, lorsque vous apparaissez à l’écran vous dites : ma femme est psy.
(Rires) Oui, ce n’est pas la même chose.
Il y aurait peut-être un truc à creuser ?
C’est vrai (rire). Je n’y avais pas pensé. Gros truc psychanalytique, oui, oui, vous devez avoir raison (rire). Oui, d’autant plus que c’est une improvisation, donc c’est totalement inconscient.
Voilà. C’est 50 €… En parlant de ça, on ne voit jamais l’argent.
Je l’avais filmé, mais je ne l’ai pas monté. Je pense que tout le monde sait qu’on paie.
L’histoire ne joue pas sur le suspense, on se doute bien qu’ils vont finir par se rencontrer, la seule question, c’est quand. À quel moment, faites-vous ce choix.
C’est l’idée de départ. Même au début, je me suis demandé : est-ce que c’est possible de raconter une histoire comme ça ? Pendant plusieurs semaines, je me suis dit : non, on laisse tomber. Quand on a commencé à écrire avec mon scénariste, Santiago Amigorena, tous les jours je me disais : c’est impossible, on va dans le mur. Après quelques semaines de travail, je me suis dit : si, c’est possible. J’y ai cru. Là, je sais que c’est possible.
Il y a beaucoup de polars qui fonctionnent comme ça, on connaît le criminel dès le début. Ça a fait le succès de Columbo.
Oui, mais pas sur des histoires d’amour. Je ne connais pas d’exemples.
Vous reprenez les mêmes comédiens [François Civil et Ana Girardot] que ceux de votre film précédent.
C’est compliqué de trouver des acteurs avec lesquels on est en phase. Avec Ce qui nous lie, il y avait une espèce de nouveau souffle par rapport à tous les gens avec qui j’avais travaillé avant. J’avais très envie de retravailler avec eux.
Il n’y avait pas un risque que ce soit perçu comme une suite alors que ce n’est pas le cas.
Non. Je me souviens, dans les premiers films de Bertrand Blier, j’ai toujours été fan de Bertrand Blier, il a commencé à travailler souvent avec Dewaere et Depardieu. Il utilisait ce couple-là. Et même Miou Miou. De film en film. Il fallait s’habituer au fait qu’ils jouaient des personnages différents. Au début, ça me frappait, puis on s’habitue. Resnais l’a fait très souvent avec Sabine Azéma, Pierre Arditi. Il y a beaucoup de gens qui ont une espèce de troupe.
Vous êtes assez critique des réseaux sociaux, mais vous êtes un adepte d’Instagram. Comment vous gérez ça ?
Je ne suis pas si critique que ça. En fait, j’ai le même rapport avec les réseaux sociaux qu’avec l’alcool. J’adore le vin. Après, j’ai un problème avec l’alcoolisme. Les gens alcooliques sont relous. C’est atroce. C’est ça le problème des réseaux sociaux, c’est l’addiction. Sinon, Facebook, Instagram, ce sont des outils géniaux. Après, on voit la perversité de la chose. Quand il y a eu les révolutions arabes, je me suis dit : wow ! C’est super. Quand il y a des dictatures, il y a des gens qui se parlent entre eux, ils arrivent à fabriquer une démocratie digitale et, finalement, ils arrivent à renverser un pouvoir. On a vu que c’était plus compliqué que ça, en réalité. Ça fabrique les fakes news, quelque chose qui est antidémocratique, ça véhicule des idées pas forcément très positives, les gens déversent leur bile. Il y a les deux, des choses très positives et des choses dangereuses.
Et sur l’exposition de l’intimité, lorsque vous êtes en vacances ou en voyage, c’est un peu de votre intimité que vous dévoilez. Comme dans une des scènes du film, du reste.
On voit les endroits où je vais.
Oui, vous êtes allé à Arles, récemment…
Je ne montre pas ma vie privée, mes enfants.
On voit ce que vous voyez, vos déplacements géographiques, c’est déjà beaucoup. Pour un inspecteur des impôts, par exemple, c’est énorme.
Bien sûr. J’ai compris déjà depuis longtemps que je ne pouvais rien cacher (rire). Et puis, il y a ce truc-là quand on est devenu une sorte de personnalité publique, on est obligé d’assumer ce côté public. C’est vrai, ce qui me gêne, c’est le côté Kim Kardashian, le fait d’assister à la vie intime de Kim Kardashian, dont tout le monde se fout.
Vous ne faites pas de selfie.
Oui, c’est la continuation de mon métier. La photo et le cinéma, c’est très proche. Quand je prends des photos, j’essaie de réfléchir avec ça. Et faire réfléchir les autres. C’est vrai que j’étais en vacances et en Grèce et en Turquie. Eh bien, j’ai montré la différence entre la Grèce et la Turquie avec trois photos. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est ça qui m’intéresse.
Est-ce que votre manière de filmer a changé avec les smartphones, internet ?
Oui, pour reprendre la question, je suis positif avec les réseaux sociaux, parce que ça m’aide énormément dans mon travail. Il y a beaucoup de gens que j’ai rencontrés comme ça. Parce qu’on remarque des gens, des danseurs, des musiciens, des acteurs. C’est un exemple que j’aime bien citer, pour Ce qui nous lie, j’ai tourné sur un an, j’ai eu le temps de réécrire le scénario pendant l’année. Il y a un vigneron qui m’a contacté par Instagram, en me disant : tiens, vous êtes dans mes vignes, aujourd’hui. J’ai commencé à le suivre, j’ai vu sa vie familiale, intime et j’ai vu sa photo où il apprenait à conduire le tracteur à sa fille. C’est ce qui m’a donné l’idée, quand Ana Girardot est petite et qu’elle conduit le tracteur avec son père. C’est issu d’une photo Instagram. J’ai eu l’idée parce que j’ai vu le quotidien d’un vigneron sinon je n’aurais pas eu l’idée.
On rencontre beaucoup de réalisateurs qui s’inquiètent pour leur « film suivant ». Vous semblez avoir réglé cette préoccupation.
C’est mon 13e film, et il y a vraiment la problématique quand on a mon âge [58 ans] et qu’on a fait 13 films de se renouveler et de ne pas faire le film de plus. Je suis très sensible à ça parce que je vois parfois certains collègues très doués qui font des films… je me dis : wow ! Je vois la maladie du film où on se dit… Il n’a plus rien à dire. Moi, je me prends la tête pour essayer d’avoir des idées, de ne pas faire les mêmes films.
Avoir les idées, c’est une chose, il faut pouvoir les produire.
Ce qui me sauve, c’est que mes derniers films sont plutôt moins chers qu’avant. Du coup, on me laisse assez libre. Je vois que beaucoup sont dans la surenchère en rajoutant deux millions à chaque long-métrage ; moi, j’ai plutôt enlevé deux millions à chaque long-métrage (rire). Ça me sauve, parce que c’est plus facile de monter un film.
Vous avez trouvé une espèce d’économie qui vous permet de faire le film suivant.
Après, je n’ai pas envie non plus que ce soit un système, je sais qu’il faut alterner. La fameuse alternance de Truffaut. Il disait : je fais un film pour moi, un film pour les autres. Il est d’ailleurs étonnant de voir quel film il considérait pour lui. C’était celui qui avait le plus de succès public. Et les films pour les autres, parfois, ne marchaient pas.
Quels sont les films que vous avez faits pour vous ?
Je n’ai jamais réfléchi, comme Truffaut. Ou alors si, mais je me suis trompé direct ! Quand j’ai fait Ni pour ni contre qui était un film tourné vers le public ; en parallèle, je me suis dit que j’avais envie de faire un film plus « bizarre », l’Auberge espagnole. Eh bien, l’Auberge espagnole a marché beaucoup, alors que Ni pour ni contre, c’est mon pire résultat… Je pensais vraiment l’inverse. J’ai vu à quel point je me plantais sur ce qu’on imagine que le public va aimer. J’ai très vite compris que je ne pouvais pas réfléchir comme ça. Donc, je n’ai jamais fait un film en me disant : Ça, ça va plaire au public.

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