Pierre-Louis Basse : son nouveau roman, une déclaration d'amour à Bernay

C'est un ovni dans la campagne normande. Le 3 janvier 2018 est sorti Je t'ai oubliée en chemin, un roman signé Pierre-Louis Basse.

L'écrivain et journaliste Pierre-Louis Basse a posé ses valises à Bernay
L’écrivain et journaliste Pierre-Louis Basse a posé ses valises à Bernay  (©Jean-Yves Caruel)
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Doit-on encore présenter cet habitué de la rue Gaston Folloppe à Bernay  ? Journaliste, écrivain et essayiste, plume de François Hollande sous le quinquennat précédent, auteur notamment du fameux discours de Verdun lors du centenaire de la bataille. L’homme de lettres a fait son nid à Bernay dans l’Eure depuis un an et demi. Dans cette ville, il a posé ses valises. C’est là qu’il a vécu la fin d’une passion amoureuse de sept ans, éconduit par un SMS quelques jours après le Nouvel an. C’est le plus malheureux des écrivains dont a hérité la sous-préfecture. Bien entouré, notre homme a marché, parcouru des kilomètres le long de la Voie verte (l’ancienne voie de chemin de fer devenue promenade) pour consoler son chagrin et mettre à distance les souvenirs douloureux. Il prend le temps de vivre, trouve dans cet écrin de verdure, dans cette « ville endormeuse » un rythme de vie et des relations encore préservés. On retrouve le style Pierre-Louis Basse. Du lyrisme, du charmant et du gaillard tout à la fois. « Elle avait beau danser avec l’agilité d’une étoile, illuminer la scène, c’était son cul, rond et dur comme une petite pomme à cidre, que je rêvais de retrouver au plus vite », écrit notre auteur au détour d’une page. C’est aussi des références littéraires et cinématographiques en cascade et puis l’œil acéré de l’écrivain qui observe et scrute l’humain.

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Éveil normand : Dans Je t’ai oubliée en chemin, vous décrivez Bernay en opposition avec un SMS de rupture qui symbolise le monde de l’immédiateté. Vous semblez avoir découvert une ville encore préservée, avec un temps différent.

Pierre-Louis Basse : « J’ai envie de dire : vive les gilets jaunes ! Car tout se rejoint. UN SMS pour liquider une passion de sept ans… Il y a une génération qui est habituée à cela. On est capable d’effacer une personne et son histoire avec le doigt comme on efface des photos (sur l’écran d’un portable, ndlr). Cela me paraissait en effet correspondre à ce qui se joue tristement à Bernay. Cette province qui est attachée à son histoire, qui l’a défendue. Ces agriculteurs, ces femmes qui travaillent comme des damnés… Toute cette population qui a une histoire très ancienne -il suffit de lire les livres de La Varende- est avec sa beauté, son architecture. Dans la réalité, il y a des gens qui ne font pas partie du spectacle, qui sont rendus invisibles. C’est en cela que j’ai voulu faire une métaphore avec le SMS.

 

Avant même qu’on parle de Gilets jaunes vous décrivez des lignes de fractures ?

« J’aurais pu disserter mais ce n’est pas un essai. Je pense que je prolonge ce que j’avais écrit dans Ma ligne 13, il y a presque 18 ans. Qu’est-ce que j’écrivais ? Une expression qui a été reprise : les frontières invisibles. Qu’est-ce que c’est ? C’est le fait qu’à deux kilomètres, il y a l’opulence, des blousons en croco à 800 000 € et puis au bout de la ligne, la déshérence. Ici, je retrouve la même ghettoïsation. Elle traverse notre pays. Il y a une chose que l’on n’a pas vue et qui est dramatique, c’est ce désenchantement. Comment peut-on imaginer qu’un garçon de 14 ou 16 ans, alors que le spectacle est devant lui en permanence, sur internet, que cette jeunesse va se contenter de vivre là où plus personne ne va sauf quelques Parisiens un week-end sur deux ou sur trois. Ce gamin à qui on va proposer 700 ou 800 € pour être caissier dans une supérette. C’est l’atomisation des rapports humains. Les gamins qui partaient en Syrie, il ne faut pas s’étonner s’ils étaient aussi Normands, Bretons…

 

Que diriez-vous à un jeune Bernayen de 14 ans ?

« La première des choses, c’est d’être fier de ce qu’il est et de sa ville. D’être lui-même tel qu’on peut l’être à 14 ou 15 ans, c’est-à-dire dans le rêve. Dans l’essai, même si cela rate ; ne pas seulement être rivé à des écrans, ce sont des leurres. Je lui dirais de croire en ses rêves parce qu’un homme qui ne rêve plus, c’est un homme mort, Freud l’a dit. Il faut recréer du rêve et de l’enchantement et cesser de croire qu’il faut vivre le modèle de la consommation et de la performance. C’est un mensonge, ça ne marche pas et il faut en changer. On ne pourra pas rêver dans un monde qui nous oblige à avoir deux bagnoles. On n’y arrivera pas si on ne prend pas notre temps. C’est évident !

 Il ne faut pas seulement vivre dans le présent. Il faut savoir, à la fois se retourner, mais ne pas être seulement rivé au présent. Et c’est ce que le grand marché voudrait nous faire croire, qu’il n’y a de vie qu’au présent. C’est faux : la vie a plein de temps, c’est un équilibre. Et le marcheur de mon livre, c’est ce qu’il cherche. »

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Est-ce que vous sentez en décalage avec Bernay ?

« Oui, bien évidemment. Je suis forcément en décalage avec le boulanger qui se lève à deux heures et qui a des comptes à rendre. Moi, je suis un petit-bourgeois, j’ai été servi par la vie et je n’ai pas l’angoisse du lendemain ou seulement celle de n’être pas inspiré. Je suis en décalage mais les Bernayens, je les aime ! Parce qu’ils sont authentiques… Ce sont des gens qui se battent… Je suis fier de les connaître. Ce livre, c’est aussi une déclaration d’amour à Bernay.

 

À Bernay, il y a le décor et il y a « les copains », pour vous aider dans la résilience.

« Oui, j’ai tout une bande ! C’est un mélange à la Brassens : les copains d’abord. C’est la musique avec le Brin, c’est Hervé. Et puis les restaurants et cette rue Gaston Folloppe… Dans Folloppe, il y a « folle » un peu. À Bernay, il y a des personnages qui ont dix fois plus de classe que n’importe quel bourgeois. C’est cela que j’aime à Bernay. Je pense que le personnage de ce livre Je t’ai oublié en chemin, en définitive, il ne se contente plus de se souvenir et de la mémoire mais il pose un regard sur ce qui est autour de lui. Cela, c’est important. La maladie du romancier, c’est peut-être une maladie c’est Auster qui disait cela. Pour voir le réel, il faut être à côté et il faut le raconter. »

 

Dans le précédent ouvrage, vous étiez le Flâneur de l’Élysée, aujourd’hui, vous êtes dans ce livre le marcheur de la Voie verte. Est-ce que vous songez à une autre destination que Bernay ?

« C’est très important d’avoir écrit ce livre ici, cela m’ancre. C’est toute la différence entre un bateau qui ignore les îles et celui qui s’y arrête. J’ai une responsabilité à l’égard des lecteurs et des habitants de Bernay, parce que j’y pose mon regard. La mémoire et l’oubli sont des choses qui ont beaucoup de relations.

 

Vous consacrez de très belles pages à notre journal, qui dans la fiction s’appelle L’Étincelle. Et vous êtes complètement fasciné par nos petites annonces.

« L’étincelle, en russe cela se dit Iskra. C’était le journal de Lénine et c’est un clin d’oeil. Les petites annonces sont merveilleuses ! En voilà de la lenteur : prendre le temps, la peine d’écrire. De se préparer psychologiquement, de déposer l’annonce. C’est cela qui m’intéresse ! En plus, moi, j’aime pleurer et j’aime rire. Voir des petites annonces à côté de la publicité sur les produits du terroir, ça me fait rire ! Tout comme l’expression « plus si affinités ». C’est révélateur et c’est la première chose que je lis quand j’ouvre l’Éveil. »

 

Le livre est très intime…

« Il n’y a pas que les femmes qui pleurent ! C’est aussi le livre d’un homme qui pleure qui se met à nu, désemparé. Depuis pas mal de temps, on a l’impression qu’il n’y aurait que les femmes qui pleurent. Le harcèlement, elles ont de bonne raison. Il y a toujours eu des prédateurs mais on a le sentiment que c’est l’homme qui est en cause, je trouve ça très injuste. Je trouve qu’une société qui ne sait avancer que par l’interdit, c’est une société irresponsable et pleutre qui a peur. Moi, si j’aime une femme, si j’ai envie de dire à une femme qu’elle est belle et qu’elle me plaît, je lui dirai au moins une fois. Personne ne m’en empêchera. Et si je m’aperçois très vite que ça n’est pas réciproque, alors tout de suite, je m’arrête. Non, c’est non. Donc, c’est aussi le livre d’un homme qui pleure et qui se révolte. »

« Le 6 janvier 2019, je lance un appel solennel à tous les chagrinés d’amour ! » En début d’année, l’écrivain dédicacera son roman dans la rue Gaston Folloppe, au niveau de la galerie Alexandre. Le rendez-vous est fixé à 12 h.

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