samedi 30 novembre 2013

Nouvelle envolée à Drouot

Carte postale à ses parents (1914)
Céline a de nouveau battu des records aux enchères cette année. Après la vente d'un exemplaire d'exception de Voyage au bout de la nuit à plus de 160 000 € en octobre dernier, la cote de Céline reste décidément toujours au plus haut et continue d'attirer collectionneurs, marchands et spéculateurs.

Tout droit sorties de la bibliothèque de Dominique de Villepin, ancien premier ministre, plusieurs pièces céliniennes se sont vendues le 28 novembre à Paris : « Cette première journée de la vente de la bibliothèque de l'ancien Premier ministre a vu les enchères s'enflammer, dans une ambiance plutôt feutrée, la majorité des enchérisseurs suivant la vente par téléphone ou à distance. Parmi les lots qui ont fait sensation, l'un des très rares exemplaires de la thèse de médecine de Louis-Ferdinand Céline, dédicacée à Lucien Descaves (juré Goncourt à qui le romancier a dédié Mort à crédit) s'est envolée à 42 000 euros, soit le double de son estimation. Plus fort encore, une carte postale envoyée par le même Céline du Front, en 1914, à ses parents, est montée jusqu'à 13 000 euros. Et l'exemplaire de La Condition humaine que Malraux a dédicacé à Céline a atteint la somme faramineuse de 46 000 euros... Apparemment, les céliniens étaient au rendez-vous. [...] ». (Jérôme DUPUIS, L'Express, 28 novembre 2013)

A ses parents, Argonne, vers le 10 septembre 1914 (Annoncé comme partiellement inédit) :

Chers parents,
Je reçois à l’ instant 3 cartes et une lettre de vous. J’ai mis le papier de maman dans ma poche mais en général les blessures sont peu grave [sic] ou mortelles, il n’y a guère d’alternative. La lutte s’engage formidable, jamais je n’ai vu et verrai tant d’horreur, nous nous promenons le long de ce spectacle presque inconscients par l’ habitude du danger et surtout par la fatigue écrasante que nous subissons depuis un mois. Il se fait avant la conscience une espèce de voile. Nous dormons à peine 3 heures par nuit et marchons plutôt comme des automates mus par la volonté instinctive de vaincre ou de mourir. Pas de nouveau sur le champ de bataille. Presque sur la même ligne de feu depuis 3 jours. Les morts sont remplacés continuellement par les vivants à tel point qu’ ils forment des monticules que l’on brûle et qu’ à certains endroits on peut traverser la Meuse à pied ferme sur les corps allemands de ceux qui tentèrent de passer et que notre artillerie engloutit sans se lasser. La bataille laisse l’impression d’une vaste fournaise où s’engloutissent les forces vives de deux nations et où la moins fourbue des deux restera la maîtresse.
Envoyez plutôt un mandat tous les 8 jours. Vos lettres recommandées elles arrivent. Et toujours des cartes, cela va vite. Votre fils qui vous embr[asse]. Et du courage il en faut beaucoup.
Dest[ouches].
[Au recto :]
Nous n’avons pas vu de réservistes, ils jouent à la guerre dans le parc de Rambouillet.
Dites bonjour pour moi à tout le monde, et bien que les Allemands prétendent être à Paris sous 8 jours. Ce n’est que sur nos corps qu’ ils passeront, mais nous passerons plutôt sur les leurs. Nous avons toute confiance en Joffre.
Carte postale à Simone Saintu (Lagos, juin 1916)
Etait aussi au catalogue de cette vente une carte postale envoyée d'Afrique en juin 1916 à Simone Saintu, amie d'enfance, (reproduite dans Lettres, Pléiade, 2009) avec laquelle il entretiendra une très intéressante correspondance tout au long de son séjour africain (1916-1917) :
Chère Simone,
Rien d’aussi peu attrayant qu’une ville africaine –
nauséabond malsain, chaud noir, humide –
antichambre de l’Enfer.
Sinc. Amitié,
Louis
Enfin, le marteau d'Antoine Godeau s'est abattu sur une édition originale de A l'agité du bocal de 1948, un des 3 premiers sur papier d'Auvergne et sur les deux volumes réunis des Cahiers de l'Herne consacrés à Céline, chacun étant un des 80 exemplaires numérotés du tirage de luxe (avec lithographies et 7 feuillets du manuscrit original de Nord).

M.G.

Sur le sujet :

> Télécharger le catalogue de la vente.
> Des lettres de Céline aux enchères (vente du 14 nov. 2013) 
> Lettres et correspondance inédite (vente du 10 mai 2011)
> Manuscrits (vente du 20 avril 2011)

jeudi 28 novembre 2013

Louis-Ferdinand CÉLINE lu par...

Voici une sélection de lectures de textes de Céline par des acteurs de différentes générations. Vous découvrirez, dans l'ordre d'apparition, Guillaume GALLIENNE, Julien GUIOMAR, Stanislas de la TOUSCHE, Christophe MALAVOY, Guy MARCHAND, Michel PICCOLI, Fabrice LUCHINI, Denis PODALYDES, Pierre BRASSEUR, Michel SIMON et ARLETTY. Les sources des différents enregistrements sont indiquées ci-dessous. Durée : 1h32.



Sources :

Guillaume GALLIENNE, Émission « Ca peut pas faire de mal », France Inter, 2010.

Julien GUIOMAR, Émission « Metropolitains », France culture, 30 juin 2011.

Stanislas de la TOUSCHE, Extraits du spectacle « Y en a que ça emmerde qu'il y a des gens de Courbevoie...? », 2011.

Christophe MALAVOY, Émission « Je déballe ma bibliothèque », France culture, 2012.

Guy MARCHAND, Émission « Je déballe ma bibliothèque », France culture, 2012.

Michel PICCOLI, Émission « Pages arrachées », France culture, 1986

Fabrice LUCHINI, Voyage au bout de la nuit (CD), 1994.

Denis PODALYDES, Voyage au bout de la nuit (Intégrale, 16CD), 2003.

lundi 18 novembre 2013

Le Petit Célinien - Lettre d'actualité n°47

Pour recevoir gratuitement par courriel à chaque parution notre lettre d'actualité, laissez-nous votre mail à l'adresse habituelle : lepetitcelinien@gmail.com.

Le Petit Célinien - Lettre d'actualité n°47.
> Télécharger nos anciens numéros ici

samedi 16 novembre 2013

Vient de paraître : la correspondance inédite Louis-Ferdinand CÉLINE - Henri MONDOR

Après un tirage en avril de 2 000 exemplaires hors commerce sur Rives Vergé réservés aux membres du Cercle de la Pléiade de la correspondance inédite Céline - Henri Mondor, Gallimard rend disponible en novembre cette correspondance au grand public. C'est la collection Blanche qui accueille cet échange de 41 lettres (datées de 1950 à 1961) entre Céline et Henri Mondor (1885-1962), académicien, médecin, chirurgien de renom (il a publié plusieurs ouvrages consacrés à la chirurgie des viscères) mais qui consacra aussi son temps à la rédaction d'ouvrages sur Mallarmé notamment, montrant ainsi son attachement à la littérature. Céline va le solliciter après-guerre pour faire la présentation de ses deux premiers romans dans la prestigieuse collection de la Bibliothèque de la Pléiade, pour laquelle Céline se bat farouchement auprès de Gallimard. Henri Mondor finira par rédiger cette préface (reproduite en annexe), sous l'influence des indications de Céline, qui paraîtra après sa mort en 1962. C'est ce travail de persuasion qui constitue l'essentiel de cette correspondance, établie, présentée et annontée par Cécile Leblanc, agrégée de lettres classiques et maître de conférences à l'Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3. (M.G.)


Louis-Ferdinand CÉLINE, Lettres à Henri MONDOR, Gallimard, 2013
Disponible sur Amazon.fr. 


1949. Le procès de Céline va s’ouvrir. L’écrivain cherche des soutiens. Henri Mondor se laisse convaincre ; chirurgien, homme de lettres, académicien, il sera le « Grand Savant, couvert de Gloire, repêchant du gibet le minable pustuleux poëtasseux confrère ». Céline ne cessera plus de le solliciter, et il utilisera la notoriété de son «illustre ami» pour bâtir sa propre légende. Les lettres inédites retrouvées par Cécile Leblanc à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet retracent l’histoire de cette construction, qui est aussi celle d'une obsession. Cette obsession, c’est la Pléiade. Céline veut en être. Mais il lui faut, en guise de préfacier, « un parrain illustre et bienveillant ». Mondor, une fois de plus, serait l’homme de la situation. Reste à le persuader, et à l’orienter. Tel est l'intérêt majeur de ces lettres : le romancier y réinvente sa vie et y livre au « cher Maître » les clefs de son art. Quand, en 1960, il reçoit la préface (ici reproduite en annexe), il est au comble de la joie : ce qu’y dit Mondor est l’exact reflet de ce que son « poëtasseux confrère » lui a dicté, lettre après lettre.


Dans la presse :
> Le Littéraire, 27 novembre 2013
> Les soirées de Paris, 17 décembre 2013
> Les 8 plumes, 17 avril 2014

vendredi 15 novembre 2013

« CÉLINE au DANEMARK », une émission de Claude DUNETON (1985)

Émission « CÉLINE au Danemark » de Claude DUNETON, réalisé par Jacques Taroni pour la Communauté des Radios Publiques de Langue Française (CRPLF), diffusée la première fois le 10 novembre 1985, rediffusée en avril puis en novembre 2013 dans « Les Nuits de France Culture » sous l'intitulé « Céline à Copenhague ». Émission en deux parties avec François MARCHETTI, Denise THOMASSEN et François GIBAULT.

Partie I :
Il nous manque la première partie de cette émission. Si vous possédez ce fichier et que vous souhaitez nous le faire partager, n'hésitez pas à nous contacter à l'adresse habituelle : lepetitcelinien@gmail.com.

Partie II :
La vie quotidienne à Korsor


mercredi 13 novembre 2013

Jean CLAIR : « CÉLINE savait trop, disait trop »

Traité du style 
Relisant Les Beaux Quartiers, j'ai mieux compris pourquoi Aragon, que j'avais tant aimé, a fini par m'être aussi peu supportable. Le ton suffisant, la faconde, le don des pirouettes verbales, toutes ces élégances trop françaises. Mais, surtout, cette façon à lui de revendiquer, comme un privilège, d'être le seul gardien de la classe ouvrière. On songe à Garance, répondant à Montray, qui lui demande qu'on l'aime : « Être aimé, mon ami ? Mais alors, les pauvres, qu'est-ce qui leur restera aux pauvres ? » de ce grand bourgeois à la parole aisée, à l'assurance naturelle, à la certitude affichée, au jugement si prompt, on finit par redouter, si quelqu'un venait à le contredire, le ton soudain qui deviendrait cassant.
La classe ouvrière, j'en sortais. L'humiliation d'être un enfant de pauvres, éprouvée chaque soir. En société, je resterais muet, j'avais mal aux mots, je n'ai jamais su parler. Après les fascinations de l'adolescence, j'ai refermé Aragon d'un coup.
À quinze ans je m'étais mis aussi à lire Céline, et je me souviens de la réflexion d'un professeur à qui j'en avais fait la confidence : « Comment, vous ? Vous lisez Céline ? » La remarque avait causé en moi une confusion énorme. Pourquoi pas moi ? Fils du peuple, que me fallait-il lire ? Maurice Thorez ? Eugène Dabit ? Henri Barbusse ? Louis Guilloux ? Jean Guéhenno peut-être ?
Aragon, dans un style admirable, avait décrit ces beaux quartiers, à l'ouest, qu'il n'avait jamais quittés. C'était une tribune confortable et capitonnée du haut de laquelle prêcher au peuple qui s'écrasait à l'est, une chaire pour, chanoine vermeil et brillant de santé, le bénir. Il la retrouverait partout, rebâtie à son intention, à Aubervilliers comme à Moscou.
Céline, à l'autre bord, du fond de ses banlieues déglinguées, confessait sa misère et hurlait sa peine. Peine de classe inexpiable, insondable, inépuisable, en laquelle je me retrouvais mieux. Sans doute savait-il lui ce dont il parlait. Qui d'autre que lui avait su parler de « la haine qui vient du fond, qui vient de la jeunesse, perdue au boulot, sans défense » ? Et puis, en même temps, cette tendresse, cette pitié pudique, bravasse et juronnante du toubib de quartier, qui remplaçait la superbe bavarde du soi-disant « Paysan de Paris ». La vie des champs, ici, c'était les banlieues, la zone, tout ce qui restait des fortifs, là où Rousseau allait herboriser, du côté des Lilas et de Romainville.
Chez Céline aussi, pourtant, je soupçonnais la complaisance. Courbevoie, Clichy-la-Garenne et Bezons, les grosses chaussures qui blessent les pieds, les humiliations quotidiennes, la violence, les mots orduriers et les terrains vagues, les dispensaires où poireautaient des pauvres, plus pauvres encore de ne pas savoir dire ce qui les afflige, je savais ça par coeur. Mais Céline savait trop, disait trop, criait trop fort. Ce n'était pas non plus la façon de parler de la misère que j'avais connue, et qui resterait sobre. Et puis, cette manie d'aller chercher un bouc émissaire, et de vitupérer comme un dément...
La vérité, c'est que de la misère, on ne peut rien dire. Elle laisse sans voix. Il faut passer outre, se taire, faire comme si ça n'avait pas eu lieu. On revient de la misère comme on revient de la guerre, absent, mutique : ceux qui sont allés au front ou dans les camps ne parlent pas. Ou bien longtemps après, quand la douleur s'est dissipée, laisse-t-elle enfin passer, non ce qu'elle a été, mais le souvenir confus de ce qu'elle fut. C'est le moment où l'on ne se souvient même plus que l'on ne se souvient plus. Je n'ai jamais été tout à fait rassuré.

Jean CLAIR*
Journal atrabilaire, Gallimard, 2006.
Disponible sur Amazon.fr.


* Jean Clair est un conservateur général du patrimoine, écrivain, essayiste et historien de l'art français. Ancien directeur du musée Picasso, il est membre de l'Académie française depuis mai 2008.

Louis-Ferdinand CÉLINE (1894-1961)


mardi 12 novembre 2013

« De l’angélus de Ferdinand à la terre de Bardamu » par Serge KANONY

Jean-François MILLET - L'Angélus (1857)
L’enfance, l’adolescence de Ferdinand, sa vie au Passage des Bérésinas entre ses parents et sa grand-mère adorée, Caroline, ses difficultés dans la recherche d’un emploi, son séjour en Angleterre pour apprendre la langue et trouver ainsi plus facilement une place dans le commerce, tels sont les thèmes qui jalonnent la première partie de Mort à crédit, et qui se termine par une bagarre où l’on voit le fils tenter d’étrangler son père. Entre alors en scène l’oncle Édouard qui éloigne Ferdinand de sa famille, l’héberge chez lui en attendant qu’il trouve un travail. La deuxième partie du roman peut commencer, celle où nous seront narrées les aventures de Ferdinand au service de Courtial des Pereires.
Installé donc provisoirement chez son oncle, Ferdinand nous donne un aperçu de l’appartement, de la disposition des pièces :
« La troisième, près de l’escalier, elle était curieuse, ça faisait comme un petit salon… mais presque avec rien dedans… une table au milieu, deux chaises et un seul tableau sur le mur… Une reproduction, une immense, de L’Angélus de Millet… Jamais j’en ai vu d’aussi large ! … Ça tenait tout le panneau entier… « C’est beau ça hein Ferdinand ? » qu’il demandait l’oncle Édouard à chaque fois qu’on passait devant pour aller à la cuisine. Parfois on demeurait un instant pour le contempler en silence… On parlait pas devant L’Angélus… »
Ce qui frappe dans cette description c’est d’abord le dépouillement de cette pièce qui fait d’elle une sorte d’oratoire : deux chaises placées devant un tableau comme pour prier ; c’est ensuite une impression de religiosité, d’adoration silencieuse (on demeurait un instant pour le contempler en silence.) ; comme si l’oncle et son neveu redoublaient par leur attitude l’atmosphère mystique qui émane de ce tableau. Nous savons par son témoignage que Millet a peint sa toile en songeant à sa grand-mère qui « ne manquait pas, en entendant sonner la cloche, de nous faire arrêter notre besogne pour dire l’angélus pour ces pauvres morts ».
Céline évoque encore par deux fois L’Angélus de Millet : dans une interview avec Francine Bloch :
« L’Angélus de Millet, moi je trouve ça pas mal du tout, moi, nom de Dieu. »
Dans une lettre à Julien Alvard en 1961 :
« En peinture, le Radeau de la Méduse c’est très bon, comme L’Angélus de Millet, excellent ».
Salvador Dali, fasciné par ce tableau au point de composer, lui aussi, un Angélus, avançait que le couple priait sur la tombe de leur enfant. Est-ce son intuition qui poussa le musée du Louvre à procéder en 1963 à une radiographie du tableau ? Elle aurait révélé que sous le panier au premier plan se trouvait un caisson noir, peut-être un cercueil d’enfant.
Cet Angélus évoqué dans Mort à crédit sera pour nous l’occasion d’aborder les rapports qu’entretient Céline avec la terre, principalement dans Voyage au bout de la nuit.
Revenons à L’Angélus de Millet. Au premier plan un couple d’humbles paysans dont le visage est resté dans l’ombre et dont les mains sont jointes pour prier ; à côté d’eux leurs outils avec lesquels ils bêchent la terre ; une brouette remplie de leur récolte ; un panier posé peut-être en offrande à un enfant mort.
La terre faite de sillons est ici celle qui assure leur subsistance aux vivants et qui les recueille en son sein une fois morts.
Intéressons-nous maintenant à un passage de Voyage au bout de la nuit.
Envoyé dans un hôpital à l’arrière, Bardamu reçoit la visite de sa mère ; tous deux sortent pour faire une promenade « dans les rues proches de l’hôpital » :
« Entre les lotissements de cette campagne déchue existaient encore quelques champs et cultures de-ci, de-là, et même accrochés à ces bribes quelques vieux paysans coincés entre les maisons nouvelles. Quand il nous restait du temps avant la rentrée du soir, nous allions les regarder avec ma mère, ces drôles de paysans, s’acharner à fouiller avec du fer cette chose molle et grenue qu’est la terre, où on met à pourrir les morts et d’où vient le pain quand même. »
La terre telle que la décrit Bardamu assume, comme dans L’Angélus, une double fonction : elle maintient les hommes en vie grâce au pain dont ils se nourrissent ; elle les accueille, une fois morts, pour les vouer à la pourriture.
L’imaginaire célinien de la terre semble prolonger la représentation que nous donne la mythologie grecque, latine et chrétienne. Déméter, divinité de la terre cultivée, offre le blé aux hommes, et, chez Homère, Ulysse parlant du cyclope Polyphème s’écrie :
« Ah ! le monstre étonnant ! il n’avait rien d’un bon mangeur de pain, d’un homme »
L’homme dans sa nature même n’est rien d’autre pour les Anciens qu’un mangeur du pain, un sitophagos, sinon, il s’exclut de la communauté humaine, il est un monstre qui n’a pas figure humaine, tel le cyclope avec son oeil au milieu du visage. La tâche première et naturelle de l’homme c’est donc de travailler la terre pour en recueillir les fruits dont il se nourrira.
« Tu n’es qu’un mortel vivant du fruit de la terre » s’écrie dans l’Iliade Diomède à l’adresse de Glaucos ; apostrophe que le poète latin Horace reprend en un « nous tous qui nous nourrissons des dons de la terre ». « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » lit-on encore dans la Bible.
Mais si la Terre a partie liée avec la Vie, elle a aussi partie liée avec la Mort : elle recueille les morts en son sein :
« On rend le corps à la terre et, ainsi déposé, c’est en quelque sorte le voile d’une mère qui le couvre » (Cicéron, De legibus)
Et au dessus de cette terre où les morts sont enterrés les vivants viennent se recueillir. L’Angélus de Millet nous montre un couple, s’il faut en croire Salvador Dali, en prière au dessus du cercueil de leur enfant.
C’est, dans l’antiquité, le poète latin Catulle traversant les nations et les mers pour aller faire une offrande sur la tombe de son frère, exilé là-bas en Bithynie. C’est, au XXè siècle, Céline jeté en prison au Danemark et déplorant de ne pouvoir fleurir la tombe de sa mère :
« tenez, je reviens à ma mère… je peux pas me faire à cette tristesse… elle est enterrée Père-Lachaise, allée 14, division 20… Je voudrais bien un "laissez-passer"… juste le temps d’aller voir la dalle… Tout est survenu d’une façon… elle a jamais su ce que j’étais devenu… je lui porterais un pot de marguerites… c’était sa fleur la marguerite… » (Féerie pour une autre fois I)
Dans une lettre du 12 septembre 1948 il remercie Milton Hindus depuis le Danemark de s’être recueilli sur la tombe de sa mère :
« Rien ne pouvait m’être plus sensible que votre affectueuse attention. Personne n’est allé sur la tombe de ma mère depuis mon départ de Paris… Vous savez qu’aux Bretons les morts sont plus chers que les vivants. »
Quelques années plus tard il évoque à nouveau la tombe de sa mère dans D’un château l’autre :
« j’ai vu mourir la dentelle…moi, qui vous cause !... la preuve ma mère au Père-Lachaise a même pas son nom sur sa tombe… je vous raconterai… Marguerite Céline…cause de moi, la honte… que les passants pourraient cracher… »
Dans Mort à crédit nous voyons Ferdinand se rendre le dimanche avec sa mère et une voisine au Père-Lachaise sur la tombe de Caroline, sa grand-mère adorée :
« Le caveau de Grand-mère il était très bien entretenu. Tantôt on vidait les lilas, l’autre fois c’était les jasmins. On ramenait toujours des roses. C’était le seul luxe de la famille. On changeait les vases, on astiquait les carreaux. »
Ce culte des morts s’enracine ici dans la petite enfance (« Un homme est tout à fait achevé, émotivement c'est-à-dire, vers la douzième année. »), celle d’un écrivain qui, s’il a par la suite affirmé son agnosticisme, son athéisme, a été élevé dans les rites de la religion chrétienne :
« j’ai été élevé tout naturellement en catholique = baptême, première communion, mariage à l’église, etc. (comme 38 millions de Français) La foi ? hum ! c’est autre chose »
Le mort inhumé se décompose en se mêlant à la terre ; il est voué à la pourriture et l’on sait combien ce thème de la pourriture est présent dans Voyage au bout de la nuit, la pourriture constituant un des leitmotive qui structurent le roman : pourriture des lieux, pourriture des hommes… Écoutons Princhard, voisin de lit de Bardamu à l’hôpital, imaginer sa mort et la mettre en scène :
« Et quand je serai mort, est-ce l’honneur de ma famille qui me fera ressusciter ?... Tenez, je la vois d’ici, ma famille, les choses de la guerre passées… Comme tout passe. Joyeusement alors gambadante ma famille sur les gazons de l’été revenu, je la vois d’ici par les beaux dimanches… Cependant qu’à trois pieds dessous, moi papa, ruisselant d’asticots et bien plus infect qu’un kilo d’étrons de 14 juillet, pourrira fantastiquement de toute sa viande déçue… »
Et de conclure :
« Engraisser les sillons du laboureur anonyme, c’est le véritable avenir du véritable soldat ! »
Le corps retourne à la terre pour devenir terre ; il est, nous dit Homère parlant d’Hector tué par Achille, une « terre muette », en une telle fusion qu’il « deviendra, selon Tertullien, un je ne sais quoi qui n’a plus de nom dans aucune langue. »
Mais pour se changer en pourriture, il est besoin d’une terre qui soit « cette chose molle et grenue » qu’évoque Bardamu ; d’« une terre grasse et pleine d’escargots » dans laquelle Baudelaire étale Le Mort joyeux.
Chez Céline, le plus souvent, nous rencontrons une terre mêlée d’eau, qui favorise la putréfaction. Or quel nom donne-t-on à une terre mélangée à de l’eau ? Evidemment celui de boue ! Une boue omniprésente dans Voyage au bout de la nuit : boues de la guerre, boues africaines, boues banlieusardes…
Confronté aux horreurs de la guerre, Bardamu refuse une mort « à bouffer de la boue des Flandres, à pleine bouche » ; malade, le voici envoyé à l’arrière dans un hôpital « souricière au fond des boues tenaces » ; en banlieue nous le voyons errer « Dans le grand abandon mou qui entoure la ville » et éprouver combien « Par terre, la boue vous tire sur la fatigue […] ». La deuxième partie du roman nous le montre évoluant dans un décor fait de boue et de gadoue.
Mais c’est de cette même boue dans laquelle les morts « ont fondu dans une absence épaisse » que les hommes surgissent, enfantés par la Mère primordiale. Le mythique fondateur d’Athènes, Érechthée, était, nous dit Homère, enfant de la glèbe féconde ; Lucrèce dans son poème philosophique De Rerum Natura raconte l’apparition des premiers hommes : « la terre commença de produire les espèces vivantes. En effet la chaleur et l’humidité se trouvaient en abondance dans les campagnes. ». Et plus près de nous, Hugo dans La Légende des siècles évoque les patriarches de la Bible et nous ramène à ces temps très lointains où la terre « était encore mouillée et molle du déluge. ». Bardamu, en Afrique, fait de la saison des pluies un Déluge et ironiquement se dépeint en Noé :
« L’anarchie partout et dans l’arche, moi Noé, gâteux. »
Faut-il s’en étonner ? Les auteurs grecs et latins, Homère, Pindare, Horace, Lucrèce retrouvaient dans les termes mêmes dont ils se servaient cette liaison entre la terre et les hommes. Une racine commune offrait aux Grecs, pour désigner la Terre, le mot CHTHÔN (ΧΘών) ; aux Romains le mot HUMUS. Les hommes grecs c’étaient les EPICHTHONIOI, les habitants de la terre ; quant à l’homme latin c’était L’HOMO né de l’HUMUS.
Notons au passage que l’indo-européen possédait une autre racine qui désignait la terre brûlée par le soleil : TER/TOR (d’où torride, torréfaction et la… TERRE, c'est-à-dire "la sèche" ). Un tropisme naturel poussait Céline qui n’aimait pas le soleil à préférer le Nord (titre de son roman) au Sud, les pluies de Bretagne, les brumes de l’Angleterre (celles de Guignol’s band) aux terres ensoleillées du Midi de la France. En juin 44 contraint à la fuite devant le débarquement des alliés, il choisit non pas le Sud (l’Espagne) mais le Nord (L’Allemagne puis le Danemark).
Naitre de la terre, puis retourner à la terre, tant sur le plan du mythe que sur celui de la réalité, allaient de soi chez les Anciens. Comme cela semble aller de soi dans Voyage au bout de la nuit, pour peu qu’on se persuade que Céline, loin d’être un romancier réaliste, est avant tout un poète qui par ses multiples lectures (celles d’Homère, Virgile, Dante, Shakespeare…) s’est ouvert à la pensée mythique, aux archétypes qui structurent son imaginaire. Cette dimension mythique de son oeuvre, des critiques comme François-Xavier Lavenne, Maël Rénouard ont su la mettre en valeur dans leurs analyses.
Qu’il nous suffise de rappeler la première apparition de Robinson aux premières pages du roman. Bardamu, envoyé par son capitaine à la recherche d’un village, arrive en pleine nuit « sur le faîte d’une petite colline » ; un village fantôme que ses habitants ont déserté, Noirceur-sur-la-Lys, avec ses rues et sa gare toutes éclairées constitue le seul ancrage de lumière au milieu des ténèbres, du néant. Nous sommes ici en plein fantastique. Bardamu s’aperçoit que
«[…] quelque chose avait changé l’aspect du tertre devant moi… Ce changement dans la disposition de l’ombre avait eu lieu à quelques pas… Ce devait être quelqu’un… »
Ce quelqu’un, comme surgi du tertre – « monticule de terre recouvrant une sépulture » c’est Robinson. Quelques pages plus loin nous retrouvons Bardamu transféré dans un hôpital, suite à son délire. A Lola, sa maitresse, il confesse sa peur de la mort :
-Vous avez donc peur tant que ça ?
-Et plus que ça encore, Lola, si peur, voyez-vous, que si je meurs de ma mort à moi, plus tard, je ne veux surtout pas qu’on me brûle ! Je voudrais qu’on me laisse en terre, pourrir au cimetière, tranquillement, là, prêt à revivre peut-être… Sait-on jamais ! Tandis que si on me brûlait en cendres, Lola, comprenez-vous, ça serait fini, bien fini… Un squelette, malgré tout, ça ressemble encore un peu à un homme… C’et toujours plus prêt à revivre que des cendres… Des cendres c’est fini !...
Le « sait-on jamais » de Bardamu semble faire écho au « Mort à jamais ? » du narrateur de La Recherche commentant la mort de Bergotte, et sur lequel s’appuient des critiques pour avancer l’idée d’un Proust spiritualiste opposé à un Proust agnostique. 
A la crémation Bardamu préfère donc l’inhumation, rite funéraire pratiqué par les Romains et continué par la religion chrétienne. Pourquoi ? Parce que l’homme Destouches et l’écrivain Céline ont eu pour matrice en 1914 la terre-boue des Flandres. Ils sont ainsi fils de la terre.
Et cette remarque nous amènera dans notre conclusion à poser le problème de l’humanisme célinien. On sait qu’il fait l’objet d’une vif débat entre ceux qui lui accordent ce titre et ceux qui le lui refusent. Si l’humaniste est celui qui croit en l’homme, il semble difficile, voire impossible, de lui concéder ce titre. Nombreuses en effet sont les déclarations tant dans ses romans que dans sa correspondance où il s’en prend aux hommes :
« C’est des hommes et d’eux seulement qu’il faut avoir peur, toujours. » (Voyage au bout de la nuit)
« Je ne crois pas aux hommes. » ( lettre à Élie Faure, 14 avril 1934)
A ces condamnations les tenants d’un humanisme célinien opposeront Bébert, Alcide, Molly ; ou bien encore, pour faire accepter ce terme, ils le feront suivre d’un adjectif, d’une expression restrictive, comme pour en fixer les limites. On parlera alors d’un humanisme déçu, d’un humanisme indigné. Erika Ostrovsky dans son ouvrage Céline and his vision, consacre un chapitre à cette question avec ce titre : Humanisme A Rebours.
Céline se méfiait de ces gros mots (humanisme, optimisme etc.) sortes de fourre-tout qui se prêtent à de multiples significations. A un journaliste qui lui demandait : « Vous paraissez bien pessimiste ? » il avait répondu : « Pessimiste, optimiste. C’est des mots. Tout ça n’a aucun sens. »
Un contempteur du genre humain qui propose, quand même, dans Les Beaux Draps un programme social (la semaine des trente cinq heures), une réforme de l’école… Un Ferdinand qui dans Féerie pour une autre fois nous déclare tout de go : « Je suis du Parti de la vie voilà ! ». N’en jetez plus !
Bref, on n’en sort pas.
Aussi la définition que j’avancerai de l’humanisme célinien, si humanisme il y a, se voudra-t-elle plus… terre à terre !
L’humanisme célinien donc, selon moi, c’est du côté de la terre qu’il faut le chercher, à ras du sol ; il fait de la boue son terreau, celle des Flandres ; il se nourrit de la boue que Bardamu a bouffée à pleine gueule et jusqu’à la nausée sur le front de guerre ; tant il est vrai que la guerre de 14 est le certificat de baptême, l’événement fondateur, tant de l’homme Destouches que de l’écrivain Céline.
A s’enraciner dans les boues de la guerre, dans les gadoues banlieusardes les fruits qui en surgissent ne peuvent être que rabougris ; ils ne sont pas de ceux qui se poussent du col, de ceux que l’on propose sur les étals littéraires. Ce sont, pour la plupart, des humbles, des « humiles », des près du sol, à ras d’humus. Ce sont les cocus de la vie, les laissés-pour-compte, les miteux, les sans grade, tous ceux dont Bardamu observe le passage dans le ciel parisien, ces morts, comme surgis de la place du Tertre. C’est la Résurrection des Bébert, de la fille avortée, de Grappa… Tous ces morts c’est vraiment pas le dessus du panier :
« […] parce que c’étaient bien les voyous des morts ceux-là, des coquins, rien que la racaille et la clique des fantômes qu’on avait rassemblés ce soir au-dessus de la ville. »
Autant de gens qui, enracinés dans la boue, sur un terreau infect, en ont pris l’odeur, celle de la pourriture : « S’ils puent les hommes, c’est bien fait pour nous. »
Dans ces conditions comment voulez-vous que leur odeur ne s’attache pas à l’humanisme célinien, comme l’odeur de friture aux dentelles !

« Ecce homo »… j’ten fous !... nihil homo…voila!... »
L’humanisme célinien? Un humanisme boueux !
ECCE HOMO, ECCE HUMUS.


Serge KANONY
Le Petit Célinen, 12 novembre 2013.


Du même auteur :


> Serge KANONY, Céline ? C'est Ça !..., Le Petit Célinien Éd., 2012.
Préface d'Éric Mazet.
216 pages, format 14x21. Tirage limité

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Librairie Folies d'encre
41 Bld de Strasbourg
93600 Aulnay sous Bois
01 48 66 12 85

En kiosque : Spécial Céline n°11 - L'insoumis des lettres

Le trimestriel Spécial Céline fait paraître son 11è numéro. Un nouveau format et une nouvelle maquette, des plus agréable, viennent agrémenter la lecture d'un sommaire plus « épuré » qu'à l'accoutumé. On regrettera toutefois pour ce numéro l'absence de toute actualité célinienne...

Sommaire :

Étude
« Céline au bachot » par Éric Mazet
Correspondance
« Les Lettres à la NRF, 1931-1961 : le médecin épistolier et son éditeur » par Julie Delbouille 
Rencontre
« Céline et le Goncourt : Chronologie des faits et des idées » par Éric Mazet 
Étude
« De Destouches à Céline, Montmartre 1929-1944 » par Jean Maurice Bizière 
Fiction
« Fallait-il fusiller Céline » (1ère partie) par Jacques Milliez



Un numéro disponible en kiosque ou sur www.lafontpresse.fr, 80 pages, 19,50 €.

Théâtre : « Voyage au bout de la nuit » par la Cie Le Talent Girondin du 19 au 24 nov. 2013

La Compagnie "Le Talent Girondin" proposera du 19 au 24 novembre 2013 à l'INOX de Bordeaux une adaptation de Voyage au bout de la nuit réalisé par Philippe del Socorro, mise en scène et avec Franck Desmedt.


Du 19 au 24 novembre 2013
à 20h30 - 16h le dimanche

L'INOX
rue Philippart
33000 BORDEAUX

Réservations
05.56.79.39.56


Oser mettre en scène une telle œuvre, relève du défi. Mais que sait-on, au fond, du Céline qui, en 1932, avec le "Voyage au bout de la nuit", rate de peu le prix Goncourt et se console avec le Renaudot ? Le Voyage est un chef-d’œuvre, anarchiste, anti-tout et pourtant universellement tragique. Véritable dissection sans concessions de l'âme humaine. C'est avant tout une recherche absolue de la vérité faite de chair, de miasmes et de sang. C'est aussi une descente dans les profondeurs abyssales de l'âme. Descendre toujours plus bas, toujours plus profondément pour que, dans le noir absolu, surgisse une lumière, douce, pénétrante, inattendue: voilà le pari de cette mise en scène. Osez ! venir voir Bardamu, l'anti-héros par excellence, perpétuellement en fuite, ce voyageur immobile à grands pas, dans son numéro de funambule de la vie qui n'est que vertige et vacillement. L'enjeu, le seul enjeu, l'enjeu véritable, c'est de tenir et rester debout. Tenir encore.

Contacts :
Franck Desmedt : 06 68 92 14 80
Courriel : bregeon.yvan@numericable.fr

jeudi 7 novembre 2013

Le Petit Célinien - Lettre d'actualité n°46

Pour recevoir gratuitement par courriel à chaque parution notre lettre d'actualité, laissez-nous votre mail à l'adresse habituelle : lepetitcelinien@gmail.com.

Le Petit Célinien - Lettre d'actualité n°46.
Numéro spécial Théâtre

> Télécharger nos anciens numéros ici

Des lettres de Céline aux enchères le 14 novembre 2013 à Paris

En couverture : Céline par Gen Paul
Les études Mathias, Lemoine et Baron-Ribeyre & ass. organisent une vente aux enchères le 14 novembre 2013 à 14h à Drouot. Au catalogue figurent un grand nombre de cartes, portraits, fragments de manuscrit, et des lettres de Céline à son ami Albert Milon, à Robert Denoël, John Marks, Henri Mahé, Charles Deshayes, Jean-Gabriel Daragnès et bien d'autres... couvrant une période allant de 1914 à la fin des années cinquante. Vous y trouverez notamment le premier jet de la chanson « Katika » ou encore une lettre de son père à son frère Charles Destouches (l'oncle de Céline) du 5 octobre 1914 dans laquelle il raconte comment Céline fut blessé en 1914 :

« … Il a été frappé sous Ypres au moment où sur la ligne de feu il transmettait des ordres de la division à un colonel d’infanterie. La balle qui l’a atteint par ricochet était déformée et aplatie par un premier choc ; elle présentait des bavures de plomb et des aspérités qui ont occasionné une plaie assez large, l’os du bras droit a été fracturé. Cette balle a été extraite la veille du jour où nous avons pu parvenir jusqu’à son chevet ; il n’a pas voulu qu’on l’endorme et a supporté l’extraction douloureuse avec beaucoup de courage…il faudra de longs soins pour reprendre au bras sa vie normale a moins de complication que le médecin ne prévoit pas en raison de la robuste constitution de Louis et de la netteté de son sang. Nous l’avons trouvé assez déprimé moralement sous le coup de la réaction des fatigues continuelles et excessives de ces 3 derniers mois et surtout de tout ce qu’il a vu sous ses yeux ; la mort de plusieurs bons camarades l’a particulièrement affecté : il explique que cette camaraderie des champs de bataille est plus profonde qu’on ne peut l’imaginer et que lorsque la mort fauche un compagnon il y a toujours parmi ceux qui restent un contrecoup douloureux… la vision de toutes les horreurs dont il a été le témoin traverse constamment son cerveau. L’action était tellement chaude, le nombre de morts et de blessés tellement grand que le premier échelon des ambulances ne put le panser, les tentes étaient remplies de morts et de mourants, il a du faire 7 kilomètres a pied pour rencontrer le 2e échelon ou la fracture a été réduite en principe et le bras placé dans une gouttière…il devait aller d’Ypres à Dunkerque dans un convoi mais il n’a pu aller jusqu’au bout du trajet tellement la douleur était vive, il lui a fallu descendre a Hazebrouck ou un officier anglais l’a conduit à la Croix Rouge… Il se demande encore par quel miracle il se trouve encore de ce monde ; la présence du danger aigu de jour et de nuit auquel il a conscience seulement maintenant d’avoir échappé a provoqué chez lui comme chez les autres une surexcitation nerveuse que la privation presque complete de sommeil n’a fait que surexciter… maintenant tout cela se calmera sous l’influence apaisante du lit d’hôpital et des soins dont il est entouré bien que cependant le canon tonne encore aux portes d’Hazebrouck mais c’est une musique avec laquelle il est familiarisé… ». Puis il recopie la lettre du capitaine Schneider lui annonçant que son fils vient d’être blessé, il la gardera précieusement dans ses archives. : « …Votre fils vient d’être blessé, il est tombé en brave, allant au devant des balles avec entrain et un courage dont il ne s’est pas départi un seul instant depuis le début de la campagne… ».




Jeudi 14 novembre 2013 à 14 h
Drouot-Richelieu
9, rue Drouto
75009 Paris

Le Bulletin célinien n°357 - novembre 2013

Vient de paraître : Le Bulletin célinien n°357. Au sommaire : 

- Marc Laudelout : Bloc-notes
- Éric Mazet : Nicole Debrie
- Jacques Aboucaya : Céline sur un fil d’or
- Jean-Gilles Malliarakis : Nicole et « son » Dr Destouches
- Pierre de Place : « Quand la mort est en colère »
- Henri Godard : Céline, Chautard et l’argot
- André Rousseaux : L’argot est à la mode en littérature [1932]
- Marc Laudelout : Proust et les maudits

Le Bulletin célinien, Bureau Saint-Lambert, B. P. 77 BE 1200 Bruxelles.
Courriel : celinebc@skynet.be. Abonnement (11 numéros) : 55 € 

mercredi 6 novembre 2013

« Louis-Ferdinand CÉLINE à Saint-Germain-en-Laye » par Bernard GOARVOT

L'entrée du cabinet de Céline
Vous êtes à la Terrasse de Saint-Germain, au Pavillon Henri IV, par exemple, près du Pavillon Royal, sur le parterre, en 1935-6 lorsque Céline y écrivit Mort à Crédit. Droit devant vous, le quartier de la Défense, où n’existe plus la rampe du Pont : Louis-Ferdinand Destouches y naquit le 27 mai 1894 (enregistré à l’Etat-Civil le 28 mai : « né hier à 4 heures du soir »), de Ferdinand Auguste Destouches et Marguerite-Louise Céline Destouches. Sa grand-mère se nomme Céline Guillou, née Lesjean.(…)

(…) Entrez à droite, et, toujours au Pavillon Royal, vous observez la chambre natale de Louis Dieudonné, dit XIV, dit Roi Soleil… Fleurs de lys sur fond bleu de roy… revoyons la signature du roy, volute, spirale, hélice, qui aimait à gagner Saint-Germain par la Seine, mené par des galériens de Rouen. Le jeune Céline connaît bien la région :

« On lui avait dit à ma mère, qu’elle pourrait tout de suite essayer sa chance au marché du Pecq et même à celui de Saint-Germain, que c’était le moment où jamais à cause de la vogue récente, que les gens riches s’installaient partout dans les villas du coteau…qu’ils aimeraient ses dentelles pour leurs rideaux dans les chambres, les dessus de lit, les jolis brise-bise… C’était l’époque opportune. » Mort à Crédit, p. 365 (Denoël et Steele, 1936).

« Chère Bonne N… Voici longtemps que je n’ai rien reçu de vous ? Je suis à présent à Saint Germain à cause de l’air. Je n’y tenais plus à Paris ! Je vais seulement en ville pour mon travail (…) » (98 R(ue) Lepic )

(…) Le Docteur a accouché de son antisémitisme virulent et délirant. Lui qui avait accepté les coupes de la censure dans Mort à Crédit - voir en annexe un exemple d’auto-censure - tombe sous le coup de la Loi (le décret Marchandeau), doit polémiquer, démissionner du dispensaire, etc.(…)
(…) Et voici que Céline songe à ouvrir un cabinet médical, comme au 36 rue d’Alsace à Clichy. Il est de retour à Saint-Germain.(…)
(…) Lettre à Evelyne Pollet, 2 juin 1939 : « Chère Amie, Je reprends la médecine active. Je vais faire des « remplacements » cet été en Bretagne et en Normandie. Cet automne je me case à St Germain, près de Paris. Ainsi va la vie, tout médiocrement - bien heureux encore d’échapper aux suprêmes catastrophes qui vous font tomber l’outil des mains, et vous laissent complètement désarmé. (…) Enfin un hiver chargé - une corrida sans appel - la meute. Tout ceci est dans le jeu, dans mon destin, je suppose (…) que ferais-je au dehors ? La vie civilisée est devenue fort triste. C’est un accablement funèbre, de tout et de tous. L’homme sérieux doit être un croque-mort ou un mort tout court. Il n’y a plus de joie que dans le vice, forcément - puisque tout est devenu vice- tout est défendu . A vous b(ien) amic(ale) »

Vue depuis l'appartement du 1 rue Debussy
(…) Nous retrouvons Céline à Saint-Germain, à l’automne 1939. Sans doute, au-delà de ses ennuis, n’oublie-t-il pas sa « prophétie » du 17 février 1934 : « Il se passe ici des choses assez tragiques. Tout cela finira comme vous savez dans cinq ou six ans - l’union européenne se fera dans le sang. » Au 15 rue Bellevue, aujourd’hui rue de Bellevue, le Docteur D., peut-être flanqué de son double démoniaque Mister C., installe un modeste cabinet médical : DOCTEUR LOUIS DESTOUCHES, Lauréat de la Faculté de Médecine de Paris, réformé. Médaille Militaire. MEDECINE GENERALE, 15. RUE DE BELLEVUE, SAINT-GERMAIN-EN-LAYE. CONSULTATIONS TOUS LES JOURS DE 1H. à 3H. TELEPHONE : 14 20.

De sa main, Céline , sur sa carte de visite, ajoute « rue Félicien David », histoire d’orienter la clientèle dans cette impasse, proche de cette calme et courbe rue, où, s’il était demeuré saint-germanois, Céline aurait eu pour voisin le maréchal von Rundstedt : le bunker existe encore, à peu près intact.

L'appartement du 1 rue Debussy
Toujours dans l’idée de placer ses droits d’auteur, Céline avait acheté un appartement situé 1 rue Claude Debussy, à Saint-Germain : « Tout moderne », avec salle de bains. « Il domine la forêt », ainsi le décrit-il à l’un de ses avocats, Me Albert Naud. 5e étage-gauche, angle, comme rue Girardon à Paris, un rare don en effet pour les visions panoramiques (on peut voir les bombardements partout, à 360 °) et le goût de la hauteur. Il n’habitera pas cet appartement, qu’il propose en guise d’honoraires. Il semble qu’il le laissera à ses beaux-parents Almanzor (…)"


Bernard GOARVOT
Artaud, Bataille, Céline, auteurs célèbres à Saint-Germain-en-Laye, Editions Hybride 2003.


Aussi :
> Céline dans les Yvelines (IV) : St-Germain, le calme avant la tempête (2011)

mardi 5 novembre 2013

Fabrice LUCHINI lira CÉLINE sur scène en 2014

Fabrice LUCHINI lira de nouveau CÉLINE sur scène en 2014. Le théâtre Antoine l'accueillera à partir du 7 janvier pour 20 représentations d'un spectacle joué pour la première fois en 1985. Sous la direction artistique de Cathy Debeauvais, l'acteur reprendra des extraits de Voyage au bout de la nuit.


Théâtre Antoine 
14 Bld de Strasbourg
75010 PARIS 

Du 7 janvier au 30 mars 2014 
à 21h  

Réservations 
01.42.08.77.71 
www.theatre-antoine.com



ARCHIVE :

> Luchini lit Céline (1988)

PRESSE, TV & RADIO :

> Le Figaro, 7 mars 2014
> "Luchini, Céline et nous", Le Figaro, 20 janvier 2014
> "Libre comme Luchini", Le Figaro, 27 décembre 2013
> Le Théatre du blog, 29 novembre 2013
> "C à vous", France 5, 25 novembre 2013
> "Entrée Libre", France 5, 4 février 2014
>  Luchini raconte sa passion pour Céline, Le Figaro, 27 décembre 2013 :









> Fabrice Luchini était l'invité de Frédéric Mitterand le 18 novembre 2013 sur France Inter :



vendredi 1 novembre 2013

« Reise ans Ende der Nacht » du 3 novembre au 30 décembre 2013 au Residenztheater de Munich

Après son adaptation de Nord en 2007, le metteur en scène allemand Frank Castorf s'est attaqué au premier roman de Céline, Voyage au bout de la nuit qu'il présentera au public du Residenztheater de Munich du 3 novembre au 30 décembre 2013. www.residenztheater.de. Le reportage de Sandra Luzina pour la chaîne Arte diffusé le 31 octobre 2013 :




Dans la presse :