lundi 29 novembre 2010

Le Petit Célinien n°73

Le Petit Célinien n°73 :

Épuisé
Le numéro 2,50 €.Par paiement sécurisé Paypal (colonne de droite sur notre site).

Le Petit Célinien n°73 - Semaine du 29 novembre 2010.

Au sommaire:
- Céline et la notion de complot (I) par André Smith
- L.-F. Céline, 4 rue Girardon, Paris 18è (carte postale)
- « Sacré J.-B.S. »
- Cartographie célinienne par Paul del Perugia
- Actualité
- Vient de paraître

dimanche 28 novembre 2010

Le Carnet du cuirassier Destouches : une exception dans la bibliographie célinienne par Charles-Louis Roseau

Le 28 septembre 1912, Louis-Ferdinand Destouches s’engage pour trois ans au 12e cuirassiers en garnison à Rambouillet. Il y entreprend la rédaction d’un journal qui sera publié pour la première fois en 1963 sous le titre Carnet du cuirassier Destouches. Écrites par un « bleu » anonyme ignorant tout de son avenir, ces notes figurent un témoignage riche d’une sincérité qu’on ne retrouvera nulle part dans les discours de l’auteur.

La rédaction des quelques notes consignées dans le Carnet du cuirassier Destouches a vraisemblablement commencé un an après l’incorporation de Louis-Ferdinand Destouches. De novembre à décembre 1913, le cuirassier y nota ses impressions et ses sentiments. Le style employé laisse penser que le jeune soldat s’est contenté de coucher sur papier des réflexions venues dans le désordre, au gré des jours et des états d’âme. Epuisée par les corvées, les épreuves physiques et les brimades, désespérée par la promiscuité, la brutalité et l’enfermement, en plein hiver, saison propice à la neurasthénie, la recrue tente de consigner, quand l’inspiration ou le besoin le prennent, ce qu’il pense et ressent. Par son existence même, cette esquisse de journal signale l’importance de l’incorporation et des états d’âme qu’elle fit naître. C’est en ce sens que le Carnet peut être lu à la fois comme un témoignage désintéressé et comme le récit d’une expérience initiatique qui marqua son auteur à jamais. Si l’on en croit ses notes, la vie de Louis-Ferdinand Destouches au régiment ne fut qu’une succession de peines et de frustrations. Jamais il n’y est question d’autres sentiments que ceux de la peine et du tourment. L’accablement est certes dû aux misères quotidiennes, mais le jeune cuirassier est également gagné par une désolation beaucoup plus intime : son chagrin provoque en effet une perte de confiance honteuse doublée d’un scepticisme catégorique. Le Carnet du cuirassier Destouches donne à voir une pensée en train de s’éclore, une succession de réflexions qui, à la faveur du doute, s’efforcent d’éradiquer toutes les illusions acquises avant l’incorporation pour ne laisser transparaître que le vrai. La caserne figure alors une étape importante vers la maturité : le jeune soldat s’observe, comme à distance, tantôt condescendant, tantôt méprisant, pour devenir son propre juge et, avec un regard semblable à celui d’un adulte averti, condamner ses « fanfaronnades » et son arrogance d’antan.

En août 1914, quand son régiment partit au combat, le fraîchement promu maréchal des logis plaça dans son paquetage ce petit carnet de moleskine. S’en suivirent les premiers combats et la « bonne blessure ». Évacué dans l’urgence, Destouches lui-même, ou l’un de ses camarades, confia son barda à un aîné, le cuirassier Langlet, qui conserva le document pendant près de quarante ans sans savoir ce qu’était devenu son propriétaire. Ce n’est qu’en 1957, avec la publication de D’un château l’autre, et la notoriété renaissante de Céline, que Maurice Langlet put enfin faire le lien entre le romancier et le cuirassier de Rambouillet. Il confia alors l’objet au directeur du journal Le Havre qui se mit aussitôt en rapport avec un éditeur. Roger Nimier, qui travaillait alors pour le compte de Gaston Gallimard, sembla avoir le premier mesuré l’intérêt éditorial d’un tel texte. Dans une lettre datée d’août 1957, il écrit à Céline : « P.S. J’aimerais que nous parlions du petit carnet, de cuirassier, qu’un monsieur veut vous remettre » (1) . Le contenu du dit carnet ne sera finalement publié qu’une fois le romancier mort, en 1963, soit 50 ans après sa rédaction.

À partir de 1932, et ce jusqu’en 1961, dans sa correspondance et dans ses interviews, Céline ne cessa pas un instant de dire sa haine des petits faits vrais. Selon lui, la spécificité et le génie qui le distinguaient des écrivains de sa génération tenaient à une certaine conception de la littérature : la victoire du style et des sensations sur le récit réaliste et psychologique. Dès lors, on comprendra que le romancier n’ait jamais tenu de journal intime. On s’étonnera cependant qu’un écrivain s’étant maintes fois déclaré hostile au récit de sa propre existence ait formulé un ensemble d’énoncés, littéraires et périphériques, dans lesquels il broda largement sur certains épisodes de sa vie. Face à ces nombreux discours mystificateurs, Nimier mesurait sans doute combien le carnet, surgissant des temps anciens de l’anonymat, ferait figure d’îlot de sincérité. Puisque le jeune Destouches n’y était pas encore Céline, puisqu’il n’écrivait, confiait-il, que pour lui et qu’il ne cherchait pas à donner de lui-même une image feinte, ce petit cahier constituait un témoignage unique sur un événement que l’écrivain n’avait jamais cessé d’évoquer et qu’il décrivait bien souvent, dans ses romans et ailleurs, comme un épisode traumatisant. Le carnet apparaissait de ce fait comme un étalon de sincérité, une source sûre qui pourrait être utile aux biographes, aux démystificateurs et aux amateurs de comparaison. C’est probablement cette particularité qui motiva l’édition folio de 1970 (2) dans laquelle le premier chapitre de Casse-pipe, version romancée de l’incorporation, fut publié « suivi du » Carnet. Le travail de lecture comparée devint alors accessible à tous : chacun put mesurer comment Céline procédait pour transfigurer ses propres expériences.

Le carnet de moleskine abandonné sur le champ de bataille contenait trente pages vides. Est-ce à dire que des dernières lignes de décembre 1913 à l’évacuation d’octobre 1914 le jeune Destouches n’eut pas eu le temps d’écrire ? Peut-être aussi n’en a-t-il plus ressenti le besoin ? Quoi qu’il en soit, le Carnet du cuirassier Destouches ne peut pas être considéré comme un témoignage rendant compte de la totalité de l’expérience du jeune Destouches à Rambouillet. Les notes prises en disent plus sur le contexte de rédaction que sur l’année d’incorporation qu’elles prétendent résumer. Soutenir le contraire serait contredire les propos et les faits qui démontrent que le jeune engagé fut aussi heureux et fier d’appartenir à la cavalerie. À ce sujet, François Gibault écrit : « Il a cependant fait silence, dans son Carnet, sur quelques événements, comme s’il ne voulait déjà se souvenir que des épisodes mélancoliques et malheureux. » (3) Et l’avocat spécialiste de Céline de citer les cérémonies auxquelles le soldat prit part, l’uniforme rutilant arboré sur les photographies, le goût de l’indépendance naissante, la satisfaction du cuirassier nommé brigadier le 5 août 1913, puis maréchal des logis…

Charles-Louis ROSEAU


1- Lettres à la N.R.F, 1931-1961, Op. Cit., p. 383.
2- Louis-Ferdinand Céline, Casse-Pipe augmenté du Carnet du cuirassier Destouches, Op. Cit.
3- François Gibault, Céline, 1894-1932 : Le temps des espérances, Op. Cit., p. 130.

samedi 27 novembre 2010

Louis-Ferdinand Céline par Vassilieff (1986)

Le Bulletin célinien n°325 - décembre 2010

Vient de paraître : Le Bulletin célinien n°325 de décembre 2010. Au sommaire :

- Marc Laudelout : Bloc-notes
- M. L. : Lucien Descaves au « Club du Faubourg »
- Claude Duneton : Céline et la « tourbe » du langage populaire
- V. M. : Une adaptation théâtrale exemplaire
- Benoît Le Roux : Anouilh et Céline
- Laurence Viala : Illustrer le texte célinien (1)
- Ramon Fernandez : « L’Église » (1933)
- Les souvenirs de Maurice Gabolde
- Willy de Spens : Un après-midi chez L.-F. Céline

Un numéro de 24 pages, 6 € frais de port inclus à :
Le Bulletin célinien
Bureau de poste 22
B. P. 70
B 1000 Bruxelles

vendredi 26 novembre 2010

Jean-Pierre Marielle évoque Louis-Ferdinand Céline

Jean-Pierre Marielle évoque Louis-Ferdinand Céline dans son livre, Le grand n'importe quoi, qui vient de paraître chez Calmann-Lévy.

Ma première femme, Noëlle, et son amie la comédienne Judith Magre suivaient des cours de danse, à Meudon, route des Gardes, donnés par Lucette Almanzor, la femme de Céline... Il les accueillaient en disant : « Ah, mes jeunes filles ! Mes jeunes filles ! » Elles n'avaient pas la moindre idée de qui il s'agissait, elles l'appelaient le docteur Destouches, du nom indiqué sur la porte. Elles revenaient à la maison, enchantées de leur leçon et me disaient que ce docteur Destouches était vraiment très gentil. Pour être honnête, je ne le connaissais pas non plus à l'époque. Ce n'est que plus tard que ses livres me comblèrent de bonheur quand l'homme qui les a signés m'écoeura.


Jean-Pierre Marielle, Le grand n'importe quoi, Ed. Calmann-Lévy, 2010.

mercredi 24 novembre 2010

Olivier Bardolle - La littérature à vif

Proust - Céline... What else ? La littérature à vif, essai d'Olivier Bardolle, que nous vous conseillons.

Présentation de l'éditeur

Dans cet essai aussi vigoureux que concis, Olivier Bardolle expose, textes à l’appui, une thèse iconoclaste : À la recherche du temps perdu et Voyage au bout de la nuit constituent les chants du cygne de la grande littérature française à vocation universelle. Ces deux textes nous parlent de la fin d’un monde, à des moments différents, dans une langue hypnotique pour Proust et dans une langue hallucinée pour Céline. Qu’y a-t-il après Proust et Céline ? Que peut-on lire sérieusement après eux ? Ou plutôt, comme pourrait le suggérer Céline : “qu’est-ce qui est encore lisible ?” Un nom s’impose, car non seulement cet auteur est lisible, mais il est le seul lisible après Proust et Céline : il s’agit de Michel Houellebecq. Lui seul aujourd’hui prend son lecteur et ne le lâche plus, sans rien lui épargner de la débâcle des temps. Lui seul reflète l’époque avec la même justesse que Proust et Céline relatèrent la leur en leur temps, jusqu’à l’incarner. Une illustration plutôt qu’une défense de l’auteur des Particules élémentaires ici élevé à la dignité de « grand consécrateur de l’ère du vide ».

Olivier Bardolle, La Littérature à vif (le cas Houellebecq), L'Esprit des Péninsules, 2004.
Commande possible sur Amazon.fr.

lundi 22 novembre 2010

Conférence : "Le cas Louis-Ferdinand Céline (1894-1961)"

Une conférence ayant pour thème "Le cas Louis-Ferdinand Céline (1894-1961)" a été organisé, ce lundi 22 novembre 2010 à 15h salle Jérôme de France des salles d'Anchin, rue Fortier à Douai (Nord), dans le cadre du lundi de la culture de l'Université d'Anchin et animée par Gérard Vitoux, agrégé de lettres classiques. www.ville-douai.fr.

Le Petit Célinien n°72

Le Petit Célinien n°72 (10 pages) :

Épuisé
Le numéro 2,50 €.Abonnement (année 2010) du montant que vous souhaitez.
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Le Petit Célinien n°72 - Semaine du 22 novembre 2010.

Au sommaire:
- Céline, le Rappel des Oiseaux (II) par Philippe Bonnefis
- En image...
- « Le débat devient personnel »
- Hic et nunc ! Céline, Claude Gallimard et la Pléiade (Deux lettres inédites à Claude Gallimard)
- Mort à crédit au théâtre (Bordeaux)
- Lectures

dimanche 21 novembre 2010

Louis-Ferdinand Céline : en préparation (suite)

* Christophe Malavoy, outre ses projets de long métrage et d'adaptation théâtrale, publiera prochainement, “Même pas Mort !...”, un portrait de Louis-Ferdinand Céline aux éditions JC Gawsewitch. www.christophemalavoy.com.

* Les éditions Gallimard prévoient la réédition (en Folio) de Mea Culpa, court texte de Céline écrit à son retour d'URSS.

* Un numéro Hors-série du Figaro consacré à Céline devrait paraître en 2011.

* Gaël Richard serait sur le point de publier « Le procès Céline ».

* Deux rééditions : Les biographies d'Emile Brami et de Philippe Alméras, la première en poche, la seconde « Céline, entre haine et passions » aux éditions Pierre-Guillaume de Roux.

* Les éditions Horay annoncent pour mars 2011 une édition revue et augmentée du « Céline en verve » de David Alliot.

Merci à notre informateur anonyme...

Louis-Ferdinand Céline - Oeuvres complètes - 1981

Les oeuvres complètes de Louis-Ferdinand Céline aux éditions du Club de l'honnête homme (1981), édition présentée par Frédéric Vitoux et illustrée par Raymond Moretti sont mis en vente sur le site livre-luxe-book.com au prix de 500€.

vendredi 19 novembre 2010

Louis-Ferdinand Céline : Mort à crédit au théâtre

Sud-Ouest.com, 19/11/2010 : Eric Sanson donne un extrait de « Mort à Crédit » seul sur les planches dans une mise en scène de Renaud Cojo.

Sanson écume la marmite célinienne et c'est Renaud Cojo qui touille. Le résultat de cette tambouille sera visible pendant plus d'un mois. Au moins. Sanson fait « Crédit ». Pour peu, ce comédien qui s'est fait tout seul de rôle en rôle dirait qu'il ne serait rien sans Louis-Ferdinand Destouches.

« Mort à Crédit » est un roman d'apprentissage, paru en 1936. On y remonte le temps avec Ferdinand, l'antihéros narrateur de « Voyage au bout de la nuit » (1932), déjà anarchiste bourré de négatif entre deux branlettes, arpète « bon débarras » casé par ses parents.

Céline ne croit pas à la religion scientifique. Il la pressent nocive et flaire peut-être le champignon atomique à plein nez d'avenir. D'un rire mauvais, il se moque. Pour son Courtial des Pereires, à qui le jeune Ferdinand est confié, il s'est peut-être inspiré de l'astronome Camille Flammarion, parangon du vulgarisateur Belle Epoque. Nous sommes en 1905. Qui ne croyait aux bénéfices des fluides était andouille obscurantiste à cette époque. Auteur d'ouvrages aussi hétéroclites que « l'Elevage des poules au foyer » et « La Révélation hindoustane » il pose une loupiote savante sur à peu près tout, il est l'Homais de Flaubert sous LSD. Sanson est la voix de ce trip au bout du scientisme qui se la raconte.

Exclamation et compagnie
Reste à trouver la bonne mesure pour le comédien aux prises avec ces diatribes qui font dans l'excès, la caricature, la charge au sabre. Difficile de rester frais au milieu de tous ces points d'exclamations. Sanson s'enflamme, décolle, s'élève, explore les tendances à l'éructation. Courtial c'est lui, esquif baveux sur la surface des phénomènes.

Renaud Cojo est là pour prévenir la tentation Haddock, la chute libre en vrille de la montgolfière : « On a cherché un équilibre, je crois qu'on l'a trouvé. Le danger, c'est d'en rajouter avec ce genre de texte. » C'est un peu comme l'assaisonnement. Il faut saler pour atteindre le summum de goût mais un grain de sel surnuméraire et hop, il faut balancer le potage.

Cojo a confiance. Sous l'admiration perce une forme de respect pour le poète du Petit Théâtre, lieu. « Il est à fond. Son patron, c'est lui-même. Il se débrouille… Il peut se permettre de se concentrer sur son métier, ses personnages. Il n'a pas la tête prise par les attentes de subventions, les diffuseurs, il ne calcule pas… » Un fond vide, un fauteuil, une bassine : Sanson vous attend.

Joël RAFFIER

Du 20 novembre au 30 janvier
Les jeudis, vendredis et samedis à 20 h 30
Le dimanche à 15 h 30

Petit-Théâtre,
Rue du Faubourg des Arts
Bordeaux.
Renseignements : 05 56 51 04 73

mercredi 17 novembre 2010

Michel AUDIARD évoque Louis-Ferdinand CÉLINE (1969)

Michel Audiard interviewé par Michel Polac ; Extrait de l'émission Bibliothèque de poche : D'un Céline l'autre (106 min) réalisé par Yannick Bellon et Michel Polac diffusé en deux parties les 8 et 18 mai 1969. Disponible sur le DVD Céline vivant, sorti en 2007 aux éditions Montparnasse. 

 

Louis-Ferdinand Céline : en préparation...

• Eugène Saccomano, journaliste sportif, préparerait un ouvrage consacré à Louis-Ferdinand Céline, « Céline, coupé en deux ». Il est déjà l'auteur de Goncourt 32 paru chez Flammarion en 1999.

Les éditions du Lérot prévoit la parution pour 2010 de deux ouvrages consacrés à Céline :

Dictionnaire de la corresppondance de Céline par Jean-Paul Louis, Eric Mazet et Gaël Richard. Cet ouvrage constituera un complément au Dictionnaire des personnages de Gaël Richard.

La Bretagne de Céline par Gaël Richard. De Saint-Malo à Quimper, de Saint-Renan à Rennes, depuis les conférences de la fondation Rockefeller jusqu'aux ultimes évocations du pays rêvé, que Céline ne reverra plus après 1944. Un ouvrage très documenté et abondamment illustré.

• David Alliot devrait faire paraître en mars 2011 aux éditions du Cavalier Bleu, un texte consacré à Céline pour la collection "Idées reçues".

mardi 16 novembre 2010

Les discours de Louis-Ferdinand Céline sur la Grande Guerre par Charles-Louis ROSEAU

Intéressé par la représentation de la Guerre de 14-18 dans l’œuvre de Céline, Charles-Louis Roseau a mené deux travaux universitaires sur ce sujet. Achevé en 2006, le premier traite du corps et de la Grande Guerre chez Céline et le peintre Allemand Otto Dix. Plus récemment, il a soutenu une étude [ à télécharger ici ] portant sur les évolutions et les enjeux du discours célinien sur la Première Guerre mondiale entre 1912 et 1961. Il livre ici quelques pistes de réflexions.

Sur Internet, dans la rubrique culturelle des médias plus traditionnels, dans les manuels de littérature, Louis-Ferdinand Céline est bien souvent présenté, aux côtés de Barbusse, Cendrars, Dorgelès et bien d’autres, comme l’une des figures essentielles des écrivains combattants. Très en vogue depuis les années 1990, cette représentation du Céline soldat des tranchées n’est cependant pas totalement inédite. Au contraire, elle n’a jamais cessé de perdurer, depuis qu’en 1932, lors de la parution de Voyage au bout de la nuit, les journalistes et les lecteurs ont relevé la force du témoignage célinien sur la première conflagration mondiale. Dans les années 1960, par exemple, prié de donner ses impressions sur le romancier, Guy Mazeline, lauréat du prix Goncourt 1932, écrivait : « je me représente le Céline qui n’a jamais, au mental, été démobilisé, le Céline bleu horizon tout dépenaillé avec sa capote écornée comme un livre sale, ses bandes molletières qui godent à la manière de ces crayons, vous vous souvenez ? (1) »
Pourquoi se représenter Céline en soldat de la Grande Guerre alors que l’auteur a porté bien d’autres masques et occupé bien d’autres fonctions ? Pourquoi le décrire comme un témoin majeur alors que le récit de son expérience du front, trois mois de guerre de mouvement, ne tient essentiellement qu’à la centaine de pages qui ouvrent son premier roman ? Il est évidemment très délicat, voire impossible, d’estimer l’intensité des souffrances éprouvées par un soldat de 14-18. Il serait tout aussi maladroit de tenter d’évaluer le réalisme ou l’authenticité d’un témoignage sur la Grande Guerre. Néanmoins, dans le cas de Céline, on reste persuadé que c’est davantage l’investissement fictionnel du thème que l’expérience martiale qui contribua à forger la figure du témoin.
Le déséquilibre observé entre, d’une part, le passage éclair à dos de cheval dans une guerre encore indécise, et, d’autre part, le récit constant, dans les discours céliniens, littéraires ou périphériques, de l’expérience des combats, invite à réfléchir sur la naissance, la construction et la pérennisation du mythe du Céline soldat de 14-18. A l’origine, on trouve bien entendu la contamination permanente et réciproque, chère au romancier, du réel par la fiction. Il est effectivement surprenant de constater comment la légende de la blessure au bras et à la tête, formulée publiquement pour la première fois en 1932, évolue et s’étoffe par la suite dans les entretiens, dans les articles et dans les romans postérieurs de l’écrivain. De même, véritable leitmotiv de l’œuvre célinienne, l’épisode de l’engagement fait l’objet d’un réagencement constant que l’auteur réinvente dans chacun de ses discours publiques ou intimes. La propagation du mythe, quant à elle, met nécessairement en jeu un environnement communicationnel qui, dans le cas de Céline, s’avère polyphonique et terriblement complexe. Puisque fiction et réalité se trouvent mêlées en un unique et même discours, puisque les propos intimes du Docteur Destouches se voient souvent relayés et parfois publiés aux côtés d’énonciations publiques, il convient de mettre les choses au clair en considérant les différents éléments de l’environnement communicationnel dans lequel fut colportée la légende du Céline combattant.
Apparaissent alors les notions de destinateur, de destinataire, de message, d’objectif et de contexte. Ces dernières mettent en exergue combien le thème de la Grande Guerre évolua dans le discours célinien entre 1912, année de l’entrée à la caserne, et 1961, date de la mort de l’auteur. Revanchardes dans les années 1900, libertaires au moment de l’exil africain, antimilitaristes durant dans l’entre-deux-guerres, réactionnaires et cocardières sous l’occupation, paradoxalement patriotes et pacifistes dans les années 1950, les figures du récit martial célinien, parce qu’elles se conforment tant au contexte d’énonciation qu’aux attentes supposées des destinataires, sont terriblement mouvantes.
La mémoire de la Grande Guerre a ceci de particulier qu’elle a touché toutes les familles de France. En réveillant le souvenir 14-18, Céline était donc en mesure d’attirer l’intérêt de nombreux destinataires. Peut-être peut-on voir dans les variations du thème martial une tentative incessante d’unisson mémorielle avec le souvenir changeant de la Grande Guerre ? Et au-delà de cette volonté de conformité perpétuelle, ne pourrait-on pas mettre au jour un usage tactique et multiforme du souvenir de 14-18 susceptible de mener à bien des objectifs personnels ? Le récit célinien de la Grande Guerre serait alors à considérer comme la clé d’un succès littéraire initié dans les années 1930. En s’inspirant des romans de guerre nouvellement populaires, le romancier entendait conquérir un public large et s’assurer, ainsi qu’il l’avoua lui-même, popularité et recettes juteuses. De même, le recours constant, durant les différents procès Céline, aux souvenirs du combat, aux stigmates ou aux décorations, sembla fonctionner puisque c’est précisément parce qu’il était invalide de guerre que l’ancien combattant Destouches fut amnistié.
Le 20 août 1916, le jeune Destouches écrivait à ses parents : « je ne me connais encore que deux infirmités, une paralysie radiale qui m’a rapporté la médaille militaire – et une légère phobie inconstante qui ne m’a encore rien rapporté. » Il n’envisageait pas encore combien son passage au front pourrait lui rapporter…

Charles-Louis ROSEAU
Le Petit Célinien, 16 novembre 2010

1- Guy Mazeline, « Cher Bardamu mon concurrent », Céline, Paris, Éditions de l’Herne, 1963, 1965, 1972, réédition 2007, p. 179.


Echos céliniens...

>>> Louis-Ferdinand Céline, l'insoumis par Pierre Lalanne : « La rébellion, la contestation, «le Grand Soir» ne sont plus que des concepts abstraits, des chimères, des utopies qui ne veulent plus dire grand-chose, des histoires d’un autre temps. De si belles idéââs, récupérées par les contestataires eux-mêmes, qui les transforment en produits et sous-produits que l’on expose en songeant aux idoles brisées du passé; un présent asexué et luxueux, vulgaire de suffisance qui s’exhibe dans les présentoirs, tel un idéal à atteindre. De Jésus et son amour du prochain, de Lénine et ses damnés de la terre, du grand industriel dans ses institutions curatives, tous attendent une même rédemption qu’aujourd’hui, seul l’argent est en mesure d’offrir. » La suite sur L'ombre de L-F Céline.

>>> La métaphore du voyage, quête et subversion de la quête chez Louis-Ferdinand Céline, mémoire de Franck Macé (Université Paris Sorbonne) : A lire sur memoireonline.com.

>>> David Alliot : Louis-Ferdinand Céline par Mélanie Wolfe. Article paru le 16/11/2010 sur le site de La République des Lettres présentant Céline au Danemark, Céline à Bezons et Céline à Meudon de David Alliot.

>>> Rions un peu... avec Eric Tessier : Céline « absolue raclure nazie, larve geignarde, imposteur antisémite », etc... : Article à lire sur Allomusic.com, critique du film Potiche de françois Ozon.

>>> Chasse aux sorcières par Pierre Lalanne : « Les compliments, la reconnaissance, l’affirmation, tout cela reste toujours, comme en suspend et reste accroché au bout des lèvres, balbutiements et remords qui s’entremêlent et viennent se confronter avec les réserves, les avertissements, la culpabilité, l’usage. À chaque occasion, le déroulement est le même, s’excuser encore et toujours d’en parler avec, parfois, un d’enthousiasme que l’on parvient à peine à maitriser. » La suite sur L'ombre de L-F Céline.

Louis-Ferdinand Céline en Ukraine

Le programme d’aide à la publication Skovoroda, mis en oeuvre par l’Ambassade de France en Ukraine et le Ministère français des Affaires Etrangères et Européennes, a pour but d’aider les éditeurs ukrainiens qui souhaitent traduire et publier des ouvrages d’auteurs français contemporains (littérature, sciences humaines et sociales, droit, économie, gestion, etc.)

Dans la liste des ouvrages traduits dans le cadre de ce programme, Céline y tient bonne place par la traduction de Voyage au bout de la nuit, Mort à crédit, D’un château l’autre, Guignol’s band, Nord, Rigodon, Féerie pour une autre fois I et II et Casse-pipe.

lundi 15 novembre 2010

Le Petit Célinien n°71

Le Petit Célinien n°71 :

Épuisé
Le numéro 2,50 €.Abonnement (année 2010) du montant que vous souhaitez.
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Le Petit Célinien n°71 - Semaine du 15 novembre 2010.

Au sommaire:
- Céline, le Rappel des Oiseaux (I) par Philippe Bonnefis
- Sur notre site...
- Louis-Ferdinand Céline par José Corréa (inédit)
- « Mon délire part de là » (Lettre à Joseph Garcin, 13/05/1933)
- Morale de la critique, responsabilité du critique par Pierre Assouline
- Louis-Ferdinand Céline par Jean-Pierre Marielle
- Lectures

dimanche 14 novembre 2010

Du Lérot, éditeur

Portrait de Jean-Paul Louis, des éditions du Lérot, bien connu des céliniens...


Louis-Ferdinand Céline à Saint-Germain-en-Laye

[Photo : l'entrée du cabinet de Céline] Extraits de Artaud, Bataille, Céline, auteurs célèbres à Saint-Germain-en-Laye, de Bernard Goarvot, Editions Hybride 2003 :

"Vous êtes à la Terrasse de Saint-Germain, au Pavillon Henri IV, par exemple, près du Pavillon Royal, sur le parterre, en 1935-6 lorsque Céline y écrivit Mort à Crédit. Droit devant vous, le quartier de la Défense, où n’existe plus la rampe du Pont : Louis-Ferdinand Destouches y naquit le 27 mai 1894 (enregistré à l’Etat-Civil le 28 mai : « né hier à 4 heures du soir »), de Ferdinand Auguste Destouches et Marguerite-Louise Céline Destouches. Sa grand-mère se nomme Céline Guillou, née Lesjean.(…)

(…) Entrez à droite, et, toujours au Pavillon Royal, vous observez la chambre natale de Louis Dieudonné, dit XIV, dit Roi Soleil… Fleurs de lys sur fond bleu de roy… revoyons la signature du roy, volute, spirale, hélice, qui aimait à gagner Saint-Germain par la Seine, mené par des galériens de Rouen. Le jeune Céline connaît bien la région :

« On lui avait dit à ma mère, qu’elle pourrait tout de suite essayer sa chance au marché du Pecq et même à celui de Saint-Germain, que c’était le moment où jamais à cause de la vogue récente, que les gens riches s’installaient partout dans les villas du coteau…qu’ils aimeraient ses dentelles pour leurs rideaux dans les chambres, les dessus de lit, les jolis brise-bise… C’était l’époque opportune. » Mort à Crédit, p. 365 (Denoël et Steele, 1936).

« Chère Bonne N… Voici longtemps que je n’ai rien reçu de vous ? Je suis à présent à Saint Germain à cause de l’air. Je n’y tenais plus à Paris ! Je vais seulement en ville pour mon travail (…) » (98 R(ue) Lepic )

(…) Le Docteur a accouché de son antisémitisme virulent et délirant. Lui qui avait accepté les coupes de la censure dans Mort à Crédit - voir en annexe un exemple d’auto-censure - tombe sous le coup de la Loi (le décret Marchandeau), doit polémiquer, démissionner du dispensaire, etc.(…)

(…) Et voici que Céline songe à ouvrir un cabinet médical, comme au 36 rue d’Alsace à Clichy. Il est de retour à Saint-Germain.(…)

(…) Lettre à Evelyne Pollet, 2 juin 1939 : « Chère Amie, Je reprends la médecine active. Je vais faire des « remplacements » cet été en Bretagne et en Normandie. Cet automne je me case à St Germain, près de Paris. Ainsi va la vie, tout médiocrement - bien heureux encore d’échapper aux suprêmes catastrophes qui vous font tomber l’outil des mains, et vous laissent complètement désarmé. (…) Enfin un hiver chargé - une corrida sans appel - la meute. Tout ceci est dans le jeu, dans mon destin, je suppose (…) que ferais-je au dehors ? La vie civilisée est devenue fort triste. C’est un accablement funèbre, de tout et de tous. L’homme sérieux doit être un croque-mort ou un mort tout court. Il n’y a plus de joie que dans le vice, forcément - puisque tout est devenu vice- tout est défendu . A vous b(ien) amic(ale) »

[Photo : Vue depuis l'appartement du 1 rue Debussy]
(…) Nous retrouvons Céline à Saint-Germain, à l’automne 1939. Sans doute, au-delà de ses ennuis, n’oublie-t-il pas sa « prophétie » du 17 février 1934 : « Il se passe ici des choses assez tragiques. Tout cela finira comme vous savez dans cinq ou six ans - l’union européenne se fera dans le sang. » Au 15 rue Bellevue, aujourd’hui rue de Bellevue, le Docteur D., peut-être flanqué de son double démoniaque Mister C., installe un modeste cabinet médical : DOCTEUR LOUIS DESTOUCHES, Lauréat de la Faculté de Médecine de Paris, réformé. Médaille Militaire. MEDECINE GENERALE, 15. RUE DE BELLEVUE, SAINT-GERMAIN-EN-LAYE. CONSULTATIONS TOUS LES JOURS DE 1H. à 3H. TELEPHONE : 14 20.

De sa main, Céline , sur sa carte de visite, ajoute « rue Félicien David », histoire d’orienter la clientèle dans cette impasse, proche de cette calme et courbe rue, où, s’il était demeuré saint-germanois, Céline aurait eu pour voisin le maréchal von Rundstedt : le bunker existe encore, à peu près intact.

[Photo : L'appartement du 1 rue Debussy]
Toujours dans l’idée de placer ses droits d’auteur, Céline avait acheté un appartement situé 1 rue Claude Debussy, à Saint-Germain : « Tout moderne », avec salle de bains. « Il domine la forêt », ainsi le décrit-il à l’un de ses avocats, Me Albert Naud. 5e étage-gauche, angle, comme rue Girardon à Paris, un rare don en effet pour les visions panoramiques (on peut voir les bombardements partout, à 360 °) et le goût de la hauteur. Il n’habitera pas cet appartement, qu’il propose en guise d’honoraires. Il semble qu’il le laissera à ses beaux-parents Almanzor (…)"

vendredi 12 novembre 2010

Louis-Ferdinand Céline : A paraître

David Alliot devrait faire paraître en mars 2011 aux éditions du Cavalier Bleu, un texte consacré à Céline pour la collection "Idées reçues".

Paraîtra aussi en avril 2011 dans la collection "Bouquins" chez Robert Laffont, «D'un Céline l'autre». Préfacé par François Gibault, l'ensemble fera environ 1500 pages, avec des inédits et un appareil critique important.

La ballade de Marc Hanrez

Les lecteurs de ce blog n’ignorent pas que Marc Hanrez fut l’un des pionniers de la recherche célinienne. Auteur en 1961 d’une des premières monographies sur Céline (1), il a publié, il y a quatre ans, une somme réunissant ses principaux articles sur l’écrivain (2). Il fut aussi le maître d’œuvre d’un important cahier de L’Herne sur Drieu La Rochelle (3). Et l’auteur d’innombrables études sur ses écrivains de prédilection, d’Abellio à Nimier en passant par Proust ou Genet. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il est aussi, et depuis longtemps, poète. Poète discret puisque son premier recueil, La Grande chose américaine, a paru en 1992 (4), le suivant, Colomb, Cortex & Cie, datant de 2004 (5). Jamais deux sans trois. Voici que paraît Chemin faisant, ballades (en vers libres) remontant le temps.
Marc Hanrez avait dix ans en 1944. Dans la première partie de ce recueil, « Grandir en guerre », il fait revivre son enfance bruxelloise sous l’occupation, puis à la Libération. Prodigieuse puissance de la mémoire ! Mille et une images gravées et autant d’émotions. L’humour aussi qui affleure parfois :

« dans notre tram ce jour-là monte
en culotte de cheval
un officier allemand
quelle mouche alors me pique
avant-bras levé de faire un salut
que l’autre par réflexe rend au polisson »

La partie intitulée « L’Europe se lève à l’est » évoque trois villes, Vienne, Budapest et Prague, bousculées par l’histoire au siècle précédent :

« Vienne en première vision
l’année du Troisième Homme
ce film-culte avant la lettre
aussitôt vénéré pour son
thème à la cithare et son tournage
en clairs-obscurs
la ville entière me servant de cadre
au visage idole d’Alida Valli
et voir sourire Orson Welles causant
guerre et paix version suisse
au pied de la Grande Roue »

La force du texte, c’est, en quelques mots sobres, de ressusciter toute une époque enfouie mais à jamais vivante sous la plume imagée du poète. La troisième partie, « À verbe d’oiseau », nous le montre en observateur attentif de la nature. Le meilleur Jules Renard, celui du Journal, trouve ici un épigone inattendu. Et de conclure par un hommage à Hergé, immortel créateur de Tintin, tous deux « Bruxellois de souche » — comme l’est aussi Marc Hanrez.

Marc LAUDELOUT

• Marc Hanrez, Chemin faisant (Ballades), Xénia Éditions, 2010.

1. Céline, Éd. Gallimard, coll. « La Bibliothèque idéale », 1951 (éd. révisée en collection de poche, 1969). Robert Poulet le considérait comme « un ouvrage consciencieux, intelligent, d’un jugement qui semble parfaitement libre » (Pan, 20 décembre 1961 ; compte rendu repris dans Le Bulletin célinien, n° 254, juin 2004). Voir aussi Le Bulletin célinien, n° 279, octobre 2006 qui comprend un dossier consacré à Marc Hanrez.
2. Le Siècle de Céline, Dualpha, coll. « Patrimoine des lettres », 2006.
3. Drieu La Rochelle, Les Cahiers de l’Herne, n° 42, 1982.
4. La Grande chose américaine (illustrations de Paul Hanrez), Cadex Éditions, 1992.
5. Colomb, Cortez & Cie, Cadex Éditions, 2004.

jeudi 11 novembre 2010

Du « Voyage au bout de la nuit » à « End of the night »

Plusieurs céliniens se sont demandé s’il y avait lieu de tirer un parallèle entre la chanson End of the night, interprétée par le célèbre groupe américain The Doors, et Voyage au bout de la nuit, roman culte de L.F. Céline (ce qu'affirmait notamment le magazine Lire, en 2008).

La question demeure en effet ouverte pour de nombreux céliniens, et la réponse, si tant est qu'il est possible d'en donner une, n'est pas absolue; un « oui » comme un « non » ne correspondraient pas tout à fait à un contexte dont la portée est, disons le franchement, quasi-mystique. Première approche.
Nombreuses sont les biographies consacrées aux Doors ainsi qu'à leur meneur charismatique, Jim Morrison, mais il demeure difficile de trouver des déclarations orales ou écrites certifiant que telles ou telles paroles ont été tirées d'un livre ou d'un recueil (1). Il faut ainsi se référer à de nombreux sites Internet de même qu'aux quelques livres sérieux (tous ne le sont pas) traitant du sujet pour qu'un début de réponse puisse se profiler.
Avant toute chose, rappelons que Morrison, que l'on surnommait « le Roi Lézard », n'en demeurait pas moins un féru de littérature, lui-même auteur de nombreux poèmes. Fauché à 27 ans par les délires de la génération défonce (2), son nom est trop souvent associé aux excès dont il se fit l'auteur, et qui contribuent à entretenir le mystère autour de sa personne et de ce qu'il créait. Admirateur de Rimbaud - qu'il considérait comme « l'archétype du poète maudit » - tenant Nietzsche comme un modèle dont il épousait la pensée, Morrison n'était pas du genre à écrire des textes qui « sonnent creux »; le rapport entre l'une de ses chanson et un écrivain paraît donc plausible.
Et qu'en est-il alors de End of the night ? Il paraît vraisemblable que le titre soit un hommage au Voyage au bout de la nuit (et à Céline lui-même), cette thèse étant notamment soutenue par Stephen Davis (3), spécialiste mondialement reconnu du rock et auteur d'un ouvrage de référence sur le Roi Lézard. Sur le fond en revanche, c'est à dire les paroles elles-mêmes, une analyse plus détaillée s'impose (4) :

Take the highway to the end of the night
End of the night, end of the night
Take a journey to the bright midnight
End of the night, end of the night

Prends la grand-route au bout de la nuit
Bout de la nuit, bout de la nuit
Pars en voyage au minuit éclatant
Bout de la nuit, bout de la nuit

Realms of bliss, realms of light Some are born to sweet delight Some are born to sweet delight
Some are born to the endless night

End of the night, end of the night

End of the night, end of the night


Royaumes de béatitude, royaumes de lumière
Certains sont nés pour les doux plaisirs
Certains sont nés pour les doux plaisirs
Certains sont nés pour la nuit interminable
Bout de la nuit, bout de la nuit
Bout de la nuit, bout de la nuit

La première strophe pourrait être une référence directe au roman de Céline, notamment parce que la la notion de voyager y est évidente, mais également parce qu'elle rappelle étrangement la Chanson des Gardes Suisses (version Céline...) que l'on trouve au début de son ouvrage (Notre vie est un voyage – Dans l'hiver et dans la Nuit – Nous cherchons notre passage – Dans le Ciel où rien ne luit).
Le cas de la seconde strophe est un peu différent, et beaucoup plus clair, puisque trois phrases sur six ont été reprises presque à l'identique du poème Auguries of innocence, du britannique William Blake (1757-1827); seule la première fait exception et semble évoquer les stupéfiants.
Nous voilà donc face à un texte aux multiples références, et aux multiples sens. Alors, est-il vain de vouloir se convaincre que End of the night ait un lien quelconque avec le « Voyage » ou Céline lui-même ? Probablement pas, si l'on tient compte de la vision nietzschéenne que Morrisson avait de l'existence, de son rapport à la poésie, de sa façon bien à lui de provoquer pour dire les choses. Il eut été trop simple d'attendre de lui une déclaration, une preuve, ou un début de piste. Le mystère aura été l'un de ses crédos, jusqu'à sa mort prématurée.
Notons enfin que – par métaphore ou comparaison directe – Morrison aurait pu être Bardamu (ou le contraire) par le refus de certaines convention, par la volonté d'aller chercher autre chose, ailleurs, et parce que sa vie fut le fait de nombreuses rencontres, bonnes ou mauvaises.
Alors, célinien Jim Morrison ? Une chose est certaine : il ne nous coûte rien d'y croire. D'ailleurs, de sa tombe du Père-Lachaise (situé à quelques kilomètres de Meudon...) il se dit peut-être qu'il a réussi son pari, celui de faire parler ses textes au delà des mots, comme d'autres le firent avant lui…

Alexandre JUNOD
Le Petit Célinien, 11 novembre 2010

1. Une anecdote raconte que Morrison, encore étudiant, demandait parfois à ses amis de prendre un livre au hasard dans sa (très riche) bibliothèque, et d'en lire un passage; le but pour lui était de reconnaître de quel ouvrage il s'agissait. On dit qu'il ne s'est jamais trompé.
2. Bien que les circonstances de sa mort fassent encore débat aujourd'hui, il paraît vraisemblable que celle-ci soit le fait d'abus de drogues, ou d'alcool.
3. Jim Morrison, Vie, mort, légende, traduit de l'anglais par Cécile Pournin, Flammarion, 2005.
4. Ici, deux strophes seulement sont reproduites, la troisième et dernière n'étant que l'exacte reproduction de la seconde.

mercredi 10 novembre 2010

Louis-Ferdinand Céline, icône rock ?

"Parmi les admirateurs méconnus de l'oeuvre de Céline figure un certain... Jim Morisson. Passionné de littérature, lui-même auteur de plusieurs recueils de poèmes, le charismatique chanteur des Doors lui a rendu hommage dans une de ses plus envoûtantes chansons, "End of the night" - référence transparente au Voyage au bout de la nuit (Journey to the end of the night dans sa traduction anglaise). Dans ce titre, le chanteur clame son désir de prendre l'autoroute jusqu'au bout de la nuit, aux confins des royaumes de lumière et de ténèbres". (Source: Magazine Lire HS n°7)



Take the highway to the end of the night
Take a journey to the bright midnight
End of the night, end of the night...

Dictionnaire des injures littéraires

Nul doute que Pierre Chalmin s’est diverti à composer cet épais dictionnaire. Ce travail de Romain suppose des heures de lecture ainsi qu’une vaste culture littéraire — qualité dont l’auteur n’est pas dépourvu. Pas moins que du sens de l’humour. Ainsi se définit-il lui-même « dramatique auteur français » (!) et imagine-t-il un « Merlin Charpie » (anagramme de son nom) le traitant plus bas que terre. Certes, ce genre de recueil a déjà été édité. Citons celui de Sylvie Yvert qui a rencontré un certain écho ¹ et, plus récemment, L’Art de l’insulte joliment illustré par Yann Legendre ². Balayant largement les époques et les cultures, cette anthologie propose un réjouissant panorama de l’injure littéraire. Dont Céline n’est évidemment pas absent, avec l’inévitable philippique à Jean-Paul Sartre. Il s’y trouve – excusez du peu – en compagnie de Rimbaud, Baudelaire, Scarron, Rabelais, Molière, Apollinaire, Genet, Artaud, Bloy, Shakespeare, Aristophane, pour ne citer que les plus grands.
Mais ces deux livres supportent difficilement la comparaison avec l’imposant volume proposé par Pierre Chalmin : 700 pages agrémentées d’un précieux « index des insulteurs ». Céline y est cité plus de quarante fois. Comme ses saillies sont bien connues des lecteurs du Bulletin, je signalerai plutôt les insultes qu’à son tour il dût encaisser : de Jean Renoir qui voit en lui un « Gaudissart de l’antisémitisme » à Elias Canetti qui le traite de « paranoïaque » en passant par un certain Ferron qui le considère « menteur, mythomane et peut-être fou », la récolte est belle. Encore que je ne voie pas bien en quoi le commentaire de Marcel Aymé (brocardant gentiment son antisémitisme) et celui de Jünger (constatant qu’il n’eut pas le même destin que Brasillach) soient vraiment injurieux. Mais sans doute faut-il tenir compte d’un imperceptible second degré...
Un des attraits du livre est de mettre en valeur des ouvrages contenant des pépites, comme le Journal de Paul Morand et celui de Matthieu Galey. Ou les critiques d’Angelo Rinaldi – celles de L’Express – étincelantes de fiel ³. Ainsi, à propos de Hervé Bazin : « Une si scrupuleuse absence d’art, qui équivaut à fournir le moteur sans le capot, sans la carrosserie, voire sans la voiture, méritait à la longue d’être relevée. » Ou à propos de Roger Peyrefitte : « Un grand méchant loup pour revue de L’Alcazar, l’œil concupiscent sous les coiffes de dentelles, et fouillant de sa patte sénile la culotte du Chaperon rouge. »
Comme tout dictionnaire, ce n’est évidemment pas un ouvrage qu’on lit d’une traite. On le butine plutôt, happant ici et là des bonheurs d’écriture. Je l’ai déjà indiqué, les pointes de Céline reprises dans cette anthologie sont archi connues, à l’exception de celle sur Malraux : « Il me semblait splendidement doué et puis il a manqué de pudeur, d’autocritique et de véritable expérience, il s’est pris au sérieux. À présent il est devenu tout à fait putain. Je ne crois plus qu’il en sortira rien. Des vagues bafouillages orientaux et prétentieux et gratuits. » Prescience de Céline ! Il écrit cela en 1934 dans une lettre privée. Ce qui ne l’empêchera pas de saluer dans Bagatelles le Malraux qu’il estimait : celui des Conquérants parus dix ans plus tôt.
Dans sa préface, Chalmin n’a pas tort de relever un certain dépérissement du genre : « On insulte aujourd’hui en se taisant, conspirant les silences : c’est un progrès qui confine à l’imitation des anémones. » Céline, lui, n’a jamais pu se taire. Inconscience mais aussi bravade sans lesquelles il ne serait pas ce génie de l’invective qui lui valut et lui vaut encore tant d’opprobres.

Marc LAUDELOUT

• Pierre Chalmin, Dictionnaire des injures littéraires, l’Éditeur, 2010, 734 pages (29 €)

1. Sylvie Yvert, Ceci n’est pas de la littérature… Les forcenés de la critique passent à l’acte, Éditions du Rocher, 2008, 222 pages.
2. Elsa Delachair, L’Art de l’insulte. Une anthologie littéraire, Éditions Inculte, 2010, 208 pages
3. Son dernier livre, Dans un état critique (Éd. La Découverte) rassemble 120 chroniques parues entre 1998 et 2003.

lundi 8 novembre 2010

Le Petit Célinien n°70

Le Petit Célinien n°70 (10 pages) :

Épuisé
Le numéro 2,50 €.Abonnement (année 2010) du montant que vous souhaitez.
Par paiement sécurisé Paypal (colonne de droite sur notre site).

Le Petit Célinien n°70 - Semaine du 8 novembre 2010.

Au sommaire:
- La récusation célinienne par J.-M. Viprey (II)
- LF Céline (1950)
- Dictionnaire des injures littéraires de Pierre Chalmin : « Entrée Céline »
- Pierre Dac et Charles de Gaulle, même combat, Le Monde diplomatique, juin 2010.
- Lectures

samedi 6 novembre 2010

Féerie pour cette fois

Céline, encore une fois, avec sa verve, son panache, ses imprécations, son désir de légèreté, sa lourdeur parfois, ses erreurs sans nom, sa mauvaise foi et son désir de vérité. Peu d'hommes, peu d'écrivains auront porté à ce point d'excès les contradictions du XXè siècle. Ces Lettres de la Pléiade permettent une vision globale de l'homme Destouches et de l'écrivain Céline puisque les biographies sont généralement partiales et que les divers recueils de lettres ont, jusqu'ici, été consacrés à une période ou à un interlocuteur (Albert Paraz, Joseph Garcin, Gaston Gallimard et Nimier). C'était, chaque fois, une focalisation particulière, une rhétorique adaptée, une adresse à quelqu'un. Voir ainsi non pas la totalité, mais un choix dans la globalité de sa correspondance nous donne à voir les divers angles du feu d'artifice Céline, ses tirs en rase-mottes, ses effets shrapnel, ou son art de pointer au cœur.
C'est l'occasion aussi de mesurer la distance qui existe entre les événements vécus (en Angleterre adolescent, à la Guerre, en Afrique, etc.) et ceux relatés dans les romans, toute la trigonométrie entre la biographie événementielle, la vie ressentie et la transposition romanesque. Un grand écrivain doit tenir les trois points. On découvre un Destouches enfant plutôt bien élevé, attentionné avec ses parents. Puis à l'année où il s'est engagé, des lettres de camarades et d'officiers témoignent d'une certaine déprime et de ses difficultés d'adaptation. La guerre commencée, Destouches patriotique est confiant de revenir vite et « couvert de lauriers ». La situation s'enlise (« À la Meuse, que le chemin de la gloire est sale »); il est blessé d'une balle au bras. C'est le coeur du recueil Devenir Céline (lettres de 1912 à 1919). L'affaire du Goncourt, ce ratage qui fut une réussite commerciale; Céline anxieux et agacé par les critiques qui, décidément, n'y entendent goutte. Après le Voyage, il change de ton et de style dans ses lettres, la fiction ayant contaminé la correspondance. Par moments, on voit un Céline amical, familier et enjoué («Mon vieux », « mon lapin »), parodique (sur Chateaubriand), un autre attentionné et cru avec les femmes (auxquelles il prodigue des conseils sexuels qui sont autant ceux d'un amant ou ancien amant que d'un médecin, question d'éviter les enfants et les maladies: chacun jugera de la validité des méthodes...). Puis Céline le furieux, l'antisémite, qui condense sa rage du monde en un complot où le Juif est le diable, jusqu'à la confusion délirante: « Nulle clique plus noyautée de juifs et juivisants anxieux que le brelan antisémite! Fatalement! ». D'un Céline l'autre: le prisonnier, l'exilé, le reclus. Puis ces lettres de la fin, l'explosion de liberté lorsqu'il découvre en Nimier un éditeur admiratif et attentif. Partout, même dans les erreurs les plus lourdes, ce désir de dire la vérité du monde. Ainsi de cette phrase, chargée de sens: « C'est ainsi que je sens les gens et les choses. Tant pis pour eux. »

Olivier RENAULT, Librairie L'Arbre à Lettres, Paris 14è.
Page, Décembre 2009.
www.pagedeslibraires.fr


Louis-Ferdinand Céline - Règlement - version italienne

Dans cette vidéo apparaît le Professeur Francesco Eugenio Negro, auteur de Céline medico et malato (« Céline médecin et malade » ) paru chez Franco Angeli en 2000. Vient ensuite une version italienne de Règlement (piano et voix).

jeudi 4 novembre 2010

Louis-Ferdinand Céline par Jacques Trémolet de Villers

« Quand Céline blague, il le fait dans une outrance verbale, et dans un chant qui, par le style même, détruit ce qui pourrait paraître une horrible et désastreuse théorie : que le monde moderne serait gouverné, de Washington à Moscou et de Londres à ...Tel-Aviv, par les juifs. Céline se moque de lui-même et de son propre antisémitisme. »

Jacques Trémolet de Villers

Anthony Palou - Fruits & légumes

Anthony Palou sort aux éditions Albin Michel Fruits & légumes, que nous vous conseillons.

Présentation de l'éditeur
"Toute ma vie, il y a eu un décalage horaire entre papa et nous. Mon père était "primeurs"."

Entre dérision et nostalgie, cette chronique sociale et familiale est avant tout la radiographie d’une époque. Celle des années 70, période d’insouciance qu’Anthony Palou évoque à travers l’essor et le déclin d’une "dynastie fruitière", qui a fui l’Espagne franquiste pour faire fortune en France avec sa soupe catalane.
Sur un ton à la fois drôle et lucide, l’auteur de Camille, prix Décembre, exprime avec tendresse la pudeur des déclassés, la fin des illusions et l’apprentissage de la mélancolie.

Anthony Palou, Fruits & légumes, Albin Michel, 2010.
Commande possible sur Amazon.fr.

mercredi 3 novembre 2010

L'animal dans le roman célinien

L'animal dans le roman célinien, étude de Bébert, le chat de Céline est le titre d'une thèse pour le doctorat vétérinaire soutenue devant la Faculté de médecine de Créteil par Vincent Biven en 2008. Ce texte (212 pages) est téléchargeable ici.

Louis-Ferdinand Céline - Lettre à Evelyne Pollet - 1933

Lettre de Céline à Evelyne Pollet datée de 1933 paru dans les Cahiers Céline 5. Cette lettre est mise aux enchères sur Ebay avec un prix de départ de 1 050 €. Fin des enchères le 8 novembre à 19h.

Le 24/ chère amie, mais non pas du tout je ne vous oublie pas (...) D'autre part je me suis remis au travail ce qui m'a donné trop peu de temps non pour penser à vous mais pour écrire. Tant mieux puisque les vacances furent agréables en somme.Que devient votre roman deuxième manière. Sans doute faut-il mieux le passer à la NRF de bien meilleure vente que Denoël mais peut-être et c'est à étudier de moins généreuses dispositions surtout pour un premier roman. Ne faîtes pas comme moi et passez moi votre contrat. Je pars à Dinard ( poste restante) Faîtes moi savoir comment vont les choses. Vous êtes malicieuse et fine et un peu diabolique. Tout cela doit finir par éclore. Il suffit de durer. Bien amicalement votre / LF

mardi 2 novembre 2010

Louis-Ferdinand Céline - Lettre à Georges Michau - 1941

Une lettre de Céline adressée à Georges Michau datée de 1941 est mise en vente sur le site de vente aux enchères Ebay. Prix de départ 950 €. Fin des enchères le 8 novembre à 19h.

Michau est un poète qui a notamment écrit Les mille vers, ouvrage couronné par l'Académie Française.

Céline félicite son confrére avec beaucoup d'enthousiasme.

"Le 9 [ août 1941] Mon cher Michau/ avec bien du retard (impardonnable) je te félicite de tes oeuvres poétiques que je trouve joliment tournées et bien senties et d'un beau ton noble et même aristocrate peu dans le registre des poètes actuels veules, démagogues et moutonniers. On y découvre une ferme structure d'architecte dans l'art. Epanouissez vous jeune homme ! Amicalement/ LFCéline."

lundi 1 novembre 2010

Le Petit Célinien n°69

Le Petit Célinien n°69 :

Épuisé
Le numéro 2,50 €.Abonnement (année 2010) du montant que vous souhaitez.
Par paiement sécurisé Paypal (colonne de droite sur notre site).

Le Petit Célinien n°69 - Semaine du 1er novembre 2010.

Au sommaire:
- La récusation célinienne par J.-M. Viprey (I)
- En image...
- « Nous venions d'économiser dix ans »
- LF Céline - Bagatelles pour un massacre, La Gazette (Bruxelles) 9/1/1938
- Actualité théâtrale
- Sur le site du Petit Célinien
- Lectures

« Dieu qu’ils étaient lourds » : Voyage au bout du génie

Culturecie.com, 16/10/2010 : Avec une totale économie de moyens, simplement assis dans un fauteuil « dans un décor de chaise électrique », Marc-Henri Lamande livre une composition saisissante en incarnant Louis-Ferdinand Céline. Un spectacle d’une redoutable intelligence que défend le Lucernaire.

Louis-Ferdinand Céline. Un nom qui suscite autant d’adulation que de haine. Personnage exécrable, d’une supériorité qu’il traduit par une suffisance impitoyable, esprit frappé du sceau du génie autant que de la folie pure. « Voyage au bout de la nuit » aurait suffi à faire de lui un écrivain majeur, incontournable. A suivi « Mort à crédit » où l’auteur systématise un style catatonique, syncopé à la Dostoïevski et auquel il apporte son phrasé, ses mots, sa propension à ne jamais terminer ses phrases. Un authentique démiurge. Qui peut se mesurer à ça ? Qui peut faire le poids ?

Puis quelques autres titres, moins glorieux, que d’aucun clouent au pilori sans états d’âme et à juste titre, les qualifiant d’abjects, de dégueulasses et pire encore. Cinquante ans après sa disparition, la plaie qu’il a laissée demeure béante. « Voyage… » est le roman préféré des Français, selon un récent sondage. Céline, lui, est l’auteur le plus détesté des Français. Le plus conspué. Rançon de la gloire ou du génie, il n’est pas à l’instar des Hussards Nimier et autres Morand, tombé dans les oubliettes. Plus actuel que jamais, Céline fascine, dérange.

Toutes ces facettes vont être abordées dans ce spectacle. Sans complaisance. Le romancier se livre. Avec une fulgurance démoniaque. C’est saignant, dérangeant, vitriolé. La salle est plongée dans la plus noire obscurité et les éclairages vont se faire très progressifs pour faire surgir cette silhouette anguleuse, décharnée, au regard qui vous transperce tout en ne semblant pas vous voir.

Sur le principe de l’interview, Marc-Henri Lamande fait revivre ce trublion aussi génial que gênant. La composition, le mimétisme sont saisissants. La voix nasillarde, les mimiques, son air inquiétant et fascinant à la fois imprègnent le jeu de ce comédien habité par son rôle et qui relève un sacré défi. Car le texte est rude, bourré d’aspérités et ne lésine ni sur les provocations (« Je rends les autres illisibles », « La gloire ne va qu’avec les morts, les vivants ne vont qu’à l’Académie ») ni sur certaines vérités (littéraires, politiques, philosophiques). Mais avec en filigrane, sous le masque de la harangue, les palpitations d’un homme presque normal, simplement conscient qu’il n’était pas vraiment monsieur Toutlemonde…

Franck BORTELLE


« Dieu, qu’ils étaient lourds…! »
Conception, adaptation, mise en scène : Ludovic Longevin
Avec Marc-Henri Lamande et, en alternance, Régis Bourgade et Ludovic Longevin
Durée : 1h10

Du 15 septembre au 6 novembre 2010
Du mardi au samedi à 19 heures
Au Lucernaire
53 rue Notre-Dame des champs
75006 Paris (Métro : ND des Champs)
Réservations: 01 42 22 26 50