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15 février 2010

Amerika, Rapports de Classes (Klassenverhältnisse) de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet - 1984

flFl_Illustration_19008Les Straub adaptent L'Amérique de Kafka, et livrent un de leurs meilleurs films, en tout cas un de leurs plus accessibles. Peut-être parce que le roman est plein de rebondissements, peut-être parce qu'ils sont dans cette thématique de luttes des classes comme des poissons dans l'eau, leur film est presque léger, parfois drôle, et très découpé. Foin des longs plans désincarnés de leurs oeuvres absconses : ici, les dialogues sont vifs et montés dynamiquement, et on a même droit à plusieurs mouvements de caméra qu'on n'attendait pas dans leur cinéma très immobile : longs travellings sur des acteurs... qui marchent (! on aura donc vu des acteurs en mouvement dans la carrière des Straub), recadrages audacieux bien que discrets, voire même une course-poursuite entre flics et bandit, ce qui apparaît là-dedans comme un plan fixe dans un Lelouch, en gros. Du coup, les 2 heures passent bien, d'autant que la trame est assez intéressante et étrange pour maintenir l'intérêt dans les autres scènes plus austères. Oui, parce qu'il ne fait pas non plus mentir : l'essentiel du film est constitué de ces fameux cadres fixes qui montrent des personnages statiques disposés méthodiquement sur l'écran, avec cette diction "à plat" si particulière, et ce refus de toute incarnation concrète des caractères par les comédiens. On est chez Straub, faudrait penser à ne pas l'oublier.

class1Le livre mystérieux de Kafka, dont les intentions échappent souvent, prend un sens très original sous la plume du couple maléfique. Il va s'agir ici essentiellement du parcours initiatique d'un jeune homme dans la société moderne, celle-ci étant bâtie entièrement sur des rapports de hiérarchie, de dominant/dominé, de capitalisme à tout crin. A chaque nouveau tableau, Karl Rossmann est confronté à ses supérieurs, ceux qui sont bienveillants mais du coup condescendants, ceux qui s'assument comme tels et deviennent trop autoritaires, ceux qui outrepassent leurs droits et font peser une violente chape sur les épaules de ce Candide allemand. L'Amérique est ici considérée comme un pays uniquement "politique", dans le sens philosophique du terme : territoire dont on n'apercevra rien d'autre qu'une carte postale de la Statue de la Liberté au début du film, et qui est en fait plus un espace mental qu'un réel pays. Le film excelle à planter ces atmosphères surréalistes si prenantes dans les romans kafkaïens, par ce ton froid qui imprègne même les scènes les plus "chargées" (l'érotisme, la violence, la joie, sont passés au pilori de ce style désincarné, ce qui rend un effet curieusement comique), et par cette rigueur dans les cadres, qui ouvrent des perspectives étranges dans les décors, un peu comme Balthus dirais-je pour faire le mariole. On dirait que les acteurs sont toujours en déséquilibre, la caméra filmant des décors très légèrement tordus, aux perspectives très légèrement faussées. Amerika devient alors assez effrayant, une atmosphère concentrationnaire qui s'accorde bien avec ce fond politique noir et le contexte historique du roman (1912). Bref, satisfaction totale, ce qui n'a pas été toujours le cas pour ma part avec le cinéma des Straub.

Tout Straub et tout Huillet, ô douleur : cliquez

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