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30 mars 2010 2 30 /03 /mars /2010 14:06

Lui, c’est le roi, mon papa ! *


Par Praskova Praskovaa

Les Trois Coups.com


C’est à l’occasion de la représentation de « La vie est un songe » de Pedro Calderón, par le Théâtre de l’Étreinte au Théâtre des Treize-Vents de Montpellier, que « les Trois Coups » ont voulu rencontrer son leader, William Mesguich. Cet artiste visionnaire cumule les tâches à travers la direction de sa troupe, la mise en scène de l’œuvre et son interprétation flamboyante dans le rôle de Sigismond. Volontaire, talentueux, il trace sa propre route avec ce regard bleu qui se perd au-delà de sa lignée…

william-mesguich pierre-groboisLes Trois Coups. — En jouant ce rôle épique de Sigismond et après avoir maintenu cette tension homérique pendant plus de deux heures, ne trouvez-vous pas que le « happy-end » de cette pièce est un peu fade ?

William Mesguich. — C’est assez vrai, même si, abordée plus jeune, cette œuvre phare de Calderón me semblait évidente. Lorsque Colette Nucci directrice du Théâtre 13 me l’a proposée, nous avons dû réfléchir sur cette dernière scène qui finit un peu en queue de poisson. À l’époque, on réglait cette rupture d’écriture soudaine résolvant le conflit entre le père et le fils en parlant de révélation divine. Pour moi, seule la dernière tirade en est l’aboutissement intelligible : « Pourquoi vous étonner si tout ceci est un songe, je vais en jouir tant qu’il durera ».

Les Trois Coups. — William, une prédestination pour le théâtre ? Comment ça a commencé pour vous, cette passion ?

William Mesguich. — Oui et non, pour deux raisons, et c’est sans doute la passion de mon père pour Shakespeare, mais à égalité le nom de mon grand-père paternel à qui mon père voulait rendre hommage. Concernant mon parcours, pendant longtemps je me suis éloigné du théâtre bien qu’à la maison nous en parlions constamment et qu’à 9 ans je jouais déjà sous la direction de René Planchon et Antoine Vitez. Cependant, j’aimais les études et je pratiquais le football au point de vouloir en faire mon métier, intégrant même un centre de formation. À 20 ans, j’ai décidé de prendre des cours avec Philippe Duclos, professeur au Conservatoire, et j’ai quitté Paris pour Agen afin d’intégrer l’école de théâtre de Pierre Debauche, qui a été le professeur de mon père et qui est le fondateur du Théâtre des Amandiers à Nanterre. J’ai travaillé alors comme un forcené pendant trois ans pour combler un manque et rattraper le temps perdu. Je l’ai fait pour apprendre, être compétent, devenir légitime et ne pas être uniquement « le fils de »… C’est une école formidable, où le fait d’apprendre et de jouer se combine, et ça, c’est génial ! J’ai d’ailleurs été confronté à ma première mise en scène à cette époque, Fin de partie, de Beckett. À 24 ans, je jouais Béranger Ier dans Le roi se meurt, Valère dans Tartuffe, dans le Roman de Renart, dans la Périchole, et j’ai créé un spectacle pour enfants, la Belle et la Bête. J’ai été immédiatement confronté à la réalité du plateau. On ne m’a jamais fait de cadeau, et j’ai dû m’accrocher pour aller de l’avant en quittant notamment mon père et Paris.

Les Trois Coups. — Si vous deviez choisir un camp, metteur en scène ou comédien ?

William Mesguich. — Je n’arrive pas trop à me décider parce que j’adore autant faire l’un que l’autre. Vous savez, je suis très heureux de jouer, mais j’aime aussi mener, être à l’origine des projets et aller au bout, prendre des initiatives, diriger, partager l’action, être au cœur du spectacle pour le gérer de l’intérieur et le faire évoluer. Je suis à ma vingtième mise en scène, et n’il n’y a seulement que 4 spectacles où je n’ai pas joué. Ma dernière prestation en qualité de comédien seul est en 2006 à La Criée à Marseille avec Jean-Louis Benoit. Il ne faut pas oublier que j’ai été longtemps capitaine d’équipe et l’esprit du sport m’a beaucoup appris même si le théâtre m’a positivement happé.

Les Trois Coups. — Vous avez fondé le Théâtre de l’Étreinte. Comment fonctionnez-vous ?

William Mesguich. — J’ai rencontré mes compagnons de route chez Debauche et j’ai fondé la compagnie en 1998. C’est un labeur incroyable, et, dès le premier projet, j’ai réussi à payer les gens. Il y a une tension permanente, car nous sommes entre 30 à 50 personnes à travailler pour la troupe, plus 3 salariés et 2 employés. Installés en résidence à Bagneux au Théâtre Jean-Vilar, nous sommes soutenus par la région Île-de-France, et le conseil général des Hauts-de-Seine. On s’est produit 2 300 fois. Même si j’ai une administratrice, j’ai la double étiquette d’ami et d’employeur, c’est un peu lourd même si nous fonctionnons avec un esprit commun. Vous savez, l’économie théâtrale est très difficile, car les artistes se diversifient pour vivre : radio, TV, cinéma, ils virevoltent, et même si l’idée de troupe existe, elle vole parfois en éclats, et c’est très usant. J’aime l’idée de la famille théâtrale, le théâtre engagé, généreux, populaire, mais cela fait sourire mon père. Il faut sans cesse se renouveler et trouver un juste équilibre sans jamais se lasser. Heureusement, j’adore l’idée d’inventer et de faire rêver les gens. Avec ma troupe, on est parti sur les chemins de France pour porter le théâtre de village en village. On a beaucoup marché, par tous les temps, dans le mistral ou le cagnard, dormant sur des tatamis, parfois sous les étoiles, jouant dans des salles polyvalentes, des gymnases, des temples, des casernes de pompiers, des écoles. C’était des conditions exceptionnelles, mais nous étions soudés, et c’est ça l’idée de troupe.

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William Mesguich | © Praskova Praskovaa

Les Trois Coups. — Avez-vous mis en place un travail de sensibilisation pour élargir votre public ?

William Mesguich. — Oui, on a fait 3 000 heures d’actions culturelles, car je crois beaucoup à la transmission et au partage. J’adore prendre le risque et tenter l’aventure de la rencontre avec l’autre. Tout un travail en amont avec 130 heures d’actions ciblées dans les écoles avec des intervenants. On a joué les Fables de La Fontaine plus de 300 fois, heureux que la création se fasse pour un jeune public et pour le plus grand nombre.

Les Trois Coups. — Quelles œuvres rêveriez-vous de mettre en scène ?

William Mesguich. — Faust. J’adorerais le monter avec mon père et le diriger là en tant que comédien pour renverser la tendance, lui m’ayant mis en scène 9 fois. Sinon, le Roi Lear, la Nuit des rois, les Mystères de Paris, les Bas-Fonds, En attendant Godot et Pinter : je l’adore dans un style plus intime, assez vertigineux sous son aspect naturaliste. Cet été, nous serons à Avignon avec ma sœur Sarah sous la direction de mon père dans Agatha de Duras au Théâtre du Chêne-Noir. En 2011, ce sera Hamlet, toujours avec lui, car il montera cette pièce pour la quatrième fois. Ce personnage métaphysique étant pour lui le « work in progress » de sa carrière.

Les Trois Coups. — Nouvellement père, et fils de… Quel regard porte Daniel Mesguich sur votre parcours et quels sont vos rapports professionnels ?

William Mesguich. — Lorsque j’ai pris ma décision de faire du théâtre, mes parents ont été abasourdis, ils pensaient que cela ne serait pas facile et qu’il faudrait me protéger. En effet, au début, la violence du jugement des autres était très déstabilisante étant moi-même dans l’affect, mais je me suis endurci. Mon père, qui est une autorité artistique, est aussi un homme adorable amoureux de ses enfants, bien qu’il faille créer les conditions nécessaires pour l’approcher intimement et le toucher. Maintenant, il commence à être fier de moi, le fait de jouer ensemble a accentué la tendresse de son regard et son opinion artistique à mon égard. Après le travail sur l’Entretien de M. Descartes avec M. Pascal le jeune, on a été complices dans cette relation à l’éloquence. On a été loués ou pas par la presse, mais on s’est beaucoup rapprochés. Daniel est plus pascalien que cartésien, ayant joué le rôle aux côtés d’Henri Virlojeux trente ans plus tôt. Il avait déjà cette maîtrise et cette expérience pour distiller à la perfection le texte de Brisville. Pourtant, il a su après nous être confrontés me laisser prendre ma place. En jouant un Descartes plus raisonnable, plus tranquille, il m’a permis d’offrir au public un Pascal incisif, maladif, plus sur le fil.

Les Trois Coups. — Un lieu qui vous inspire ?

William Mesguich. — À vrai dire, je m’ennuie un peu quand je n’ai pas de théâtre. J’habite Montmartre et, hormis les marches du Sacré-Cœur où j’aime m’asseoir pour avoir cette vision incroyable de Paris, il y a plusieurs squares où je vais répéter mes textes. J’adore aussi marcher pour réfléchir, inventer, il y a quelque chose qui s’échappe, et je ne suis plus tout à fait dans la réalité. Dans la rue, le métro, je pense à mes mises en scènes, je récite et, comme je suis dans le passionnel, je suis en moi. Heureusement, en étant gestionnaire, je peux aussi fréquenter la réalité !

Les Trois Coups. — Une phrase qui vous emporte ?

William Mesguich. — Celle de Mallarmé : « La chair est triste hélas, et j’ai lu tous les livres ». 

Praskova Praskovaa


* Allusion à la phrase qui se situe dans la scène du second jour : « Lui, c’est le roi, ton père ». C’est Clairon qui s’adresse à Sigismond afin qu’il comprenne sa filiation, sa lignée, sa légitimité au trône, etc.


La vie est un songe, de Pedro Calderón

Théâtre de l’Étreinte-Cie Philippe-Fenwick - William-Mesguich • 19, rue Richard-Lenoir • 75011 Paris

06 63 88 24 59

diffusion.etreinte@gmail.com

www.theatredeletreinte.com

Création et production du Théâtre de l’Étreinte

Mise en scène : William Mesguich

Assistante à la mise en scène : Charlotte Escamez

Avec : Alain Carbonnel, Sophie Carrier, Matthieu Cruciani, Sébastien Desjours, Zbigniew Horoks, William Mesguich, Rebecca Stella

Scénographie : François Marsollier

Costumes : Alice Touvet

Photos : © Pierre Grobois et Praskova Praskovaa

Théâtre des Treize-Vents • domaine de Grammont • C.S. 69060 • 34965 Montpellier cedex 2

Réservations : 04 67 99 25 00

www.theatre-13vents.com

Du 16 au 20 mars 2010

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commentaires

P
<br /> <br /> J'ai également été surpris par cette fin en "happy end". Peut-être faudrait-il mettre en avant les silouettes des milliers de combattants morts pour rien (les clans rivaux se réconciliant), ce<br /> qui donnerait une teinte plus amère à cette fin.<br /> <br /> <br /> <br />
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