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Un peu d'histoire - 20 avril 1547

Bien avant le 16ème siècle, un problème crucial angoissait Paris : celui de son approvisionnement en bois "de chauffe et de four". Les forêts avoisinantes étaient saignées à blanc. Restaient celles du domaine royal, mais celles-ci étaient réservées à la chasse, intouchables...

Le développement de la capitale était compromis. On pensait bien déjà au Morvan, cette terre semi sauvage, où le hêtre et le chêne poussaient en abondance mais où les voies d’accès et de pénétration avaient pratiquement disparu depuis que la civilisation gallo-romaine l’avait délaissé. Du reste, la route était-elle un moyen apte à acheminer les énormes quantités de bûches nécessaires.

Le transport par flottage paraissait plus indiqué. Ce procédé était pratiqué depuis la nuit des temps pour amener à pied d’œuvre bois de marine et de charpentes. Mais il s’agissait toujours de troncs de quelque trente mètres de long, faciles à assembler, et les distances étaient nettement inférieures !

Dans le cas présent, il s'agissait de bûches de 3 pieds 6 pouces (1,14m) qu’il faudrait conduire sur 200 à 300 km ! Ajoutons à cela que les rivières n’étaient navigables que depuis Clamecy, que les ruisseaux morvandiaux n’étaient pas entretenus. La fortune semblait être à portée de quiconque résoudrait de tels problèmes.

Après bien des tentatives un premier train de bois du Morvan arrive à Paris, Quai de la Tournelle, devant les feux de joie allumés par les parisiens. C’était l’oeuvre de Charles Leconte, Maître d’oeuvre de la Charpenterie de l’Hôtel de Ville de Paris, Nivernais d’origine.
Un procès-verbal du bureau de la ville, sous la date du 21 avril 1547, constatant d'une manière irrécusable que, la veille, 20 avril 1547, Charles Leconte a fait arriver de l'Yonne à Paris un train de bois à brûler, premier train de bois de mosle qui soit advenu en ladite ville de Paris. Voici, du reste, la reproduction de ce procès-verbal :

"Aujour d'huy est venu au Bureau de la Ville maistre Charles Leconte, maistre des œuvres de charpenterie de l'Hostel de ceste ville de Paris, lequel nous a dict et remonstré avoir fait charroyer d'une vente de boys par luy prinse de Madame la duchesse de Nevers, les boys des Garammes près Chasteau-Sans-Souef (aujourd'hui Château-Sansys), pays de Nivernoys, grande quantité de bois de chauffage dont à présent il en a faict admener du port du dict Chasteau-Sans-Souef, sur la petite rivière d'Yonne, tant par la dicte petite rivière d'Yonne, la grande rivière d'Yonne et rivière de Seyne, à flotte, liez et garottez, la quantité de trois grans quarterons de mosle au compte du boys, et arrivez ce jour d'hier en ceste ville de Paris, au port des Célestins, pour l'expérimentation et première foys qu'il ayt esté admene boys de chauffage en flotte du pays d'amont, et affin d'en faire admener cy-après, en la dite sorte à ses dangers, despens, périls et fortunes.

Arrivée du premier train de bois à bruler à Paris
Charles Leconte fait arriver et garer à Paris le 1er train de bois à bruler advenu en la ville - 1547

"Aussi sont venus au dict Bureau: Pierre Courot, Philebert Guenot, Jehan Bonnet et Potenciat Guenot, compagnons de rivière, demeurants aus dicts lieu de Chasteau-Sans-Souef, lesquels ont dit et affirmé avoir admené à la flotte pour le dict Leconte, le dict boys à ses fraiz, dangers, périls et fortunes, dont le dict Leconte, comme premier expérimentateur du dict Flottage, nous a requis lectres, ces présentes à luy octroyées, les quelles, etc."

Deux ans plus tard, les radeaux arrivaient régulièrement dans la capitale : l’épopée des flotteurs de Clamecy avait commencé.

Des lettres patentes du 23 juillet 1546 montrent que Gille Deffroissez, maître de forges du Nivernais, a fait l'essai de flottage sur la Cure à ses propres frais et qu'il a pleinement réussi. Malheureusement, il s'y est ruiné, et c'est Jean Rouvet, riche marchand de bois de la capitale qui lui sert de caution et prend la tête du flottage de la rivière Cure. En 1549, le premier train de bois venant de la Cure arrive à Paris.
Jean Rouvet a donc été, en 1549, pour la Cure, ce que Charles Leconte avait été pour l'Yonne en 1547.

G. Sallonnier établit à ses frais pertuis écluses et autres travaux d'art sur l'Yonne - 1550
G. Sallonnier établit à ses frais pertuis écluses et autres travaux d'art sur l'Yonne - 1550

Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers – Edition : 1751-1765 -

La construction d'un train a été inventée par Jean Rouvet, en 1549, mais bien différente de ce quelle est aujourd'hui. Il n'y a pas plus de 80 ans qu'à Clamecy on inventa les nèges pour conduire et guider les trains. Avant ce temps-là , ceux qui les conduisaient avait des plastrons de peaux rembourrés, et ils guidaient les trains par la seul force de leurs corps ; cela m'a été assuré, il y a une trentaine d'années, par de vieux compagnons.
Ce qui prouve qu'on ne flottait point en trains avant 1549, c'est que par ordonnance rendue au parlement de Paris le dernier Juillet 1521, la cour ordonna à tous marchands de faire charroyer en diligence aux ports de Paris tous les bois qu'ils avaient découpés, à peine de 500 liv. d'amende.


Jean Rouvet - Édouard Fournier - 1864

Buste de Jean Rouvet
Buste de Jean Rouvet
sur le pont de Bethléem
Clamecy (58) - 1828

Ce Jean Rouvet nous parait avoir été un maître homme, et puisque nous le tenons ici, nous nous en voudrions de ne pas dire tout ce que nous savons de bien sur son compte. Il faisait un commerce qui n'était pas toujours très heureux à Paris : le commerce des bois. Souvent, les arrivages manquant, il y avait disette, et l'on ne savait comment y remédier. Bien longtemps auparavant, en 1490, des bûcherons de la forêt de Lyons, en Normandie, s'étaient avisés de faire flotter de la rivière d'Andelle jusqu'en Seine le bois qu'ils avaient abattu, et qu'on appelait bois d'Andelle, sur le quai de l'École où on le mettait en chantier. Charles Leconte trouva le moyen bon et l'employa pour les bois des bords de l'Yonne qu'il fit flotter jusqu'à Paris, à la grande satisfaction du bureau de la ville, qui lui octroya des lettres patentes, "comme premier expérimentateur du flottage."
C'était en 1547. L'année précédente, un ami et un protégé de Rouvet avait eu une idée pareille, mais faute d'argent il avait du laisser Charles Leconte prendre le pas sur lui. Il s'appelait Gilles Deffroissez, et passait sa vie à s'ingénier d'inventions de toutes sortes "pour le bien de la république de la ville." ... C'était l'inventeur complet, d'autant mieux que, chez lui déjà , comme chez tant d'autres depuis lors, la disette de l'argent allait de pair avec la richesse des idées.
Pour une seule invention, celle du flottage, quelqu'un lui vint en aide, ce fut Jean Rouvet. Deffroissez était depuis longtemps en familiarité d'affaires avec sa famille. Fiacre Rouvet, frère de Jean, lui avait notamment acheté la ferme des vins et du poisson de mer dont il avait été gratifié. En 1546, le flottage des bois du Morvan jusqu'à Paris, était l'entreprise qu'il caressait le plus chèrement. Il s'était persuadé qu'il suffirait, pour qu'elle réussit, de rendre navigable la petite rivière de Cure dans le Morvan. Il sut le persuader à d'autres, même dans le conseil du roi ; il obtint des lettres patentes, et ainsi, recommandé, il vint apporter son idée au bureau de la ville, le 23 juillet 1546, avec la double caution de G. Le Gras, et de notre Rouvet.
Que lui fallait-il ? Une avance de deux mille écus sur les deniers des aides auxquels lui donnait droit la commission octroyée avec les lettres royales. Il demandait cette somme en trois payements, et, sous la responsabilité de Le Gras et de Rouvet, il s'engageait à la restituer, dans le cas où, malgré sa promesse, la Cure ne serait pas rendue navigable pour le flottage à bois perdu. Il obtint ce qu'il voulait, mais le mauvais état de ses affaires, les dettes dont il était accablé l'empêchèrent de rien mener à bien. Après trois années perdues qui laissèrent à Charles Leconte l'avance que nous lui avons vu prendre il fallut que Rouvet, engagé comme caution, s'emparât de l'entreprise.
Deffroissez, en qui l'on n'avait plus confiance et que le bureau de la ville avait déclaré "grand entrepreneur et petit exécuteur", reçut de Rouvet, comme refuge, un bon emploi dans ses forges de la forêt de la Charité, et à ses risques et périls, notre marchand de bois, dut seul, comme je l'ai dit, reprendre et pousser l'affaire du flottage. Il réussit ; la Cure que Deffroissez n'avait pu rendre flottable que jusqu'à Cravant, le devint par ses soins jusqu'à s'on embouchure dans l'Yonne, et ainsi de rivière en rivière, les trains de bois du Morvan purent entrer dans la Seine et arriver triomphalement au quai de l'École, vers le milieu d'avril 1549. Ce fut une véritable fête ; "le roi, dit Lamberville accorda sa protection à Jean Rouvet, etc., ordonna qu'en l'honneur de son heureuse entreprise on fit des feux de joie le long des rivières d'Yonne et de Seine, aussi bien que dans l'intérieur de Paris."
Le succès de Jean Rouvet n'alla pas beaucoup plus loin. C'est René Arnould qui, dix-sept ans après, en 1566, eut les plus beaux profits de l'affaire, profits bien gagnés du reste par d'incontestables améliorations.
Chroniques et légendes des rues de Paris. Édouard Fournier - 1864


Mémoire sur la Terre de la Tournelle. 1er Mars 1771

La terre de Tournelle est située dans une contrée appellée le Morvand, qui fait partie de la province du Nivernois, sur les confins de la Bourgogne. Château-Chinon est regardé comme la capitale du Morvand. Ce pays est rempli de montagnes et de forêts; son commerce consiste dans la vente des bois à brûler que l'on conduit à Paris par le flottage de la rivière d'Yonne et dans l'élever des bestiaux dont les habitants tirent un grand profit.
...Le bourg d'Arleuf est le chef-lieu de la terre de la Tournelle; il est à cinq lieues d'Autun, une lieue de Chateau-Chinon, treize de Nevers. Arleuf est du diocèse d'Autun et de la généralité de Moulins; c'est la coutume du Nivernois qui régit le Morvand
...Arleuf a 320 feux et environ deux mille âmes; le bourg où est l'église est à 500 toises du château de la Tournelle; la paroisse a une étendue de plus de deux lieues, composée de 30 ou 32 villages: on appelle village en général sept a huit maisons ensemble; il y en a de quatre, même de deux.
Le pays, comme on l'a dit, est extrêmement montueux, les terres assez mauvaises et l'agriculture mal entendue dans les parties que l'on cultive, mais les habitants en sont dédommagés par le travail que leur fournit constamment pendant l'hiver l'exploitation des forêts, depuis qu'on a trouvé le moyen du flottage; les montagnes fournissent des sources abondantes que l'on rassemble avec soin dans de petits étangs an haut des ravins, qui tous ont une pente forcée vers l'Yonne que l'on appelle dans le pays la grande rivière, et c'est par le secours de ces étangs que l'on donne aux eaux l'impétuosité nécessaire pour l'enlèvement des bois.

...On estime dans le pays, qu'il y a environ deux siècles que l'on a imaginé le débouché des bois dont le Morvand est rempli par le moyen du flottage et le secours de la rivière d'Yonne qui y prend sa source; la terre de la Tournelle jouit plus particulièrement de cet avantage par la position de ses forêts, à portée de cette rivière, et par l'eau de ses étangs qui non seulement y conduisent ses bois, mais servent au flottage de tous ceux des particuliers et seigneurs voisins, à proximité ou plus enfoncés dans le pays. Le débouché du flottage ne peut avoir lieu dans le Morvand que pour le bois à brûler; la rapidité des torrents et même de l'Yonne jusqu'à Clamecy où cette rivière devient navigable, les rochers et les escarpements qui se rencontrent jusque là ne permettroient pas d'entreprendre le flottage d'autres bois; d'après cela, les futayes sont devenues inutiles dans le pays; tout a été réduit en taillis de trente et quarante ans, propres à faire des cordes et il ne reste dans le pays que quelques chênes à haute tige, conservés par les proprié-taires pour des réparations et ouvrages de charpente; il en existe plus dans la terre de la Tournelle que dans tout le Morvand, et c'est une chose d'autant plus essentielle à ménager, que l'espèce généralement dominante est le bois d'hêtre, avec lequel on ne peut pas remplacer le chêne pour le même usage.

II s'agit actuellement de donner une idée de ce qui se pratique pour la forme de l'exploitation des bois de la Tournelle.
Le propriétaire a un facteur à ses gages aux appointements de 400 li par an; ses fonctions sont, aprês avoir reçu chaque année au mois d'août ou de septembre l'état de ce qu'on appelle l'ordinaire de l'hiver suivant, de faire conjoinctement avec le régisseur, la visite et la marque des parties à exploiter; on fait avertir ensuite les habitants des paroisses d'Arleuf, Courancy et Chaumard des endroits désignés et le facteur se rend au jour indiqué pour distribuer les ateliers suivant l'état qui en a été formé, afin que ces habitants ayent tous de l'ouvrage.
Chaque atelier est composé au moins de deux ouvriers et quelquefois jusqu'à six; faut observer que les forêts ayant beaucoup d'étendue en longueur, on a soin d'établir la division des coupes de manière que chaque parroisse en ait à sa portée; la commodité des habitants, comme l'avantage du propriétaire s'y trouve intéressé.
Chaque atelier a un état ouvert avec le facteur, qui paye des acomptes pendant l'hiver, à mesure des besoins des ouvriers et de ce qu'il voit qu'il y a d'ouvrage fait; quand les coupes sont achevées, il compte, reçoit et solde avec l'atelier. Les bûcherons établissent leurs bois de cordes par pilons; sept rangs de bûches croisés en hauteur de sept bûches chaque, font le pilon, c'est-à -dire 48 à 49 bûches, la bûche de trois pieds et demi de long, sciée par les deux bouts, et le moindre rondin doit avoir sept à huit pouces par le petit bout.
Deux pilons font ce qu'on appelle un moule; trois moules font ordinairement la corde, mais le plus souvent il faut sept pilons.
La corde est de huit pieds et demi de long sur cinq de hauteur.

...Le propriétaire, à moins qu'il n'y ait des conventions particulières avec son marchand de bois, est tenu de le faire voiturer, rendre et empiler à ses frais sur les ports de ses étangs prêts à être jetés au flottage: c'est là que les facteurs et pré-posés respectifs le mesurent et de ce moment il devient absolument au compte du marchand qui y fait mettre sa marque; toutes les autres dépenses quelconques sont à la charge de ce dernier.
Les charrois du bois de l'intérieur des forêts jusque sur les ports, se font depuis le mois de mai jusqu'à la Saint-Martin, temps où l'on commence le flottage; le propriétaire fait des marchés avec les paroisses les plus à portée des coupes à des prix relatifs à leur éloignement des ports depuis 12 jusqu'à 30 sols; on estime que le prix commun est de 18 à 20 sols, ainsi chaque corde de bois revient au propriétaire pour façon et charois de 46 à 48 sols.
Il est de l'avantage du propriétaire de faire faire les piles sur les ports des étangs les plus grandes possibles, parce qu'il est dû au marchand un pilon franc au bout de chaque pile, qui ne se mesure point; ce pilon est un carré de bûches croisées de la hauteur des piles, et qui y sert de point d'appui; cependant quand les piles ne sont que de dix cordes et au dessous, les marchands ont deux bûches franches au lieu de pilon; ils ont aussi les soustraits gratis et cinq cordes pour cent, qui ne se comptent point, de sorte que pour faire quatre mille cordes garnies, il en faut 4,200 réelles.
Les particuliers et seigneurs voisins, qui ont des bois enclavés ou adjacents à ceux de la Tournelle, ont la faculté de jouir des ports et des eaux des étangs pour flotter, en payant cinq sols par corde pour droit de port et passage jusqu'à leur débouché dans la rivière d'Yonne.
Il y a neuf étangs dans la terre de la Tournelle qui servent au flottage des bois et dont l'entretien est à la charge du seigneur, sçavoir : l'étang d'Yonne, celui de Fachin, Préperny, la Motte, Chauveau, Tourond, Grenouille, Grivau t et Sanclerge; l'étang d'Yonne est le plus considérable et le plus utile au flottage; il est situé à la réunion de plusieurs ruisseaux, et dans l'endroit où la rivière d'Yonne prend son nom; ses eaux servent à donner chasse à tous les bois qui débouchent des montagnes du Morvand, ainsi que des étangs qu'on vient de citer; tous les bois étrangers qui arrivent dans l'Yonne jusqu'au pont d'Arringet, qui est à peu près la limite de la terre, payent 2 s, par corde pour en avoir l'eau, même ceux qui ont déjà payé 5 sols pour être parti du port de quelques étangs de la Tournelle.

...Tous ces différents étangs n'étant formés que des sources produites par les montagnes, il faut plus ou moins de temps pour les remplir; on les lâche ordinairement une fois la semaine sans qu'il y ait rien de fixe là -dessus; celui d'Yonne est le plus abondant; tout cela est dirigé par les marchands de bois, qui commettent souvent une personne chargée de suivre le flottage et de payer les ouvriers jusqu'à Clamecy, où tout arrive pêle mêle à bois perdu; c'est là que chaque marchand a son facteur pour le triage de sa marque; et quand le bois est sec, on le fait repartir par trains jusqu'à Paris; les trains sont ordinairement composés depuis 28 jusqu'à 35 cordes, et on estime qu'il en coûte par chaque corde, trois livres de frais aux marchands, depuis le départ des ports de la Tournelle jusqu'à Clamecy.



Le flotteur

- Les bois du Nivernais - A. De Sainte-Marie - Revue de Paris de 1839

Ici ce sont des hommes armés de longs épieux terminés par un crochet de fer; ce sont tous des gardes forestiers du pays, grands dignitaires de la circonstance ; ce sont les marchands de bois de Paris ou de la province, revêtus d’une blouse bleue et d’une casquette en peau de loutre.


- Fanchy et Simon -

Vers 1890, les flotteurs de l’Yonne, aux moeurs bien particulières, portaient, avec le pantalon de velours côtelé, une courte blouse de poulangis dite bourgeron.
Les flotteurs de l'Yonne portèrent longtemps non le béret des débardeurs parisiens dit "plumet" bien qu'une carte postale largement répandue voudrait le faire croire - mais la casquette de soie noire, assez haute, confectionnée depuis le début du Second Empire par une ouvrière de Clamecy.


Le plumet Nantaloup sur les bords de la Cure vers 1895 - 1900. Deux vieux nés vers 1820 - 1830 coiffés de la casquette noire Le flotteur coiffé de la casquette de soie noire

- Edouard Seguin -

D'une main hardie, il est à l'avant, debout, la tête nue, les cheveux aux vents, le bras levé. Un pantalon de coutil, une ceinture de serge bleue, un gilet rouge, de gros souliers composent son costume habituel...


- Henri Vincenot -

...mais bien pour vous présenter les flotteurs, les "poules d'eau", les "grèbes", rudes hommes et grandes gueules, gais et insouciants, forts et souples, comme tous les gens de métier libre, très attachés à leurs libertés, prompts au coup de tête at par-dessus tout fidèles à Saint Nicolas leur patron, dont le culte se bornait, il faut le dire, aux processions, offices et ripailles, aux fêtes mangeoires !
On les reconnaissait à leur grande voix et à leur courte blouse de poulangis, à leur "cassette" de cuir à rabat, où se trouvaient le "goué", ou serpe à taillant convexe, la "fouine" à trois dents pour tirer et pousser, le "picot" et l'"accroc", anspects particuliers.

L'accroc ou croc, le picot et le goué
L'accroc ou croc, le picot et le goué


- Jean-Claude Martinet -

Son habillement, simple, résistant, se composait d'une courte blouse grise, appelée dans la région "bourgeron", d'un pantalon de velours côtelé marron, dont le bas des jambes était serré dans la tige de lourds brodequins ferrés (1). Une "cassiette" de soie noire était crânement posée sur la tête. Il la portait d'abord une fois l'an, pour la fête de Saint-Nicolas, le patron, puis, quand elle était usagée, elle devenait le couvre-chef quotidien. Une carnassière à rabat de cuir, qui faisait office de garde-manger, de magasin (tabac, pipe, ficelles... et divers instruments pour le braconnage de la rivière), un "cadrain", petit chaudron d'étain, à anse et couvercle, que sa femme ou un enfant apportait à l'"aquier" (l'atelier) vers midi, complétaient le harnachement.

NOTES
(1) De son côté, M. Guy Thuillier, dans son ouvrage : Pour une histoire du quotidien au XIXème siècle en Nivernais, page 307, parle de la "blouse bleue, en poulangis, avec une ceinture rouge" que portaient les flotteurs de Clamecy.



Des propriétaires forestiers aux marchands forains

L'hiver reste la seule période où la coupe peut être effectuée.

Au service des propriétaires forestiers, les bûcherons s'affairent ; ils opèrent par "furetage" ne coupant que les bois d'une vingtaine d'années d'âge. Au-delà de 18 pouces (45,72 cm) de circonférence, les bûches devront être refendues, les piles s'élèvent. Bientôt elles seront visitées, jaugées par les futurs acheteurs. Ceux-ci sont la plupart du temps des marchands forains, c'est-à -dire des commerçants locaux, des intermédiaires qui revendront les coupes aux marchands parisiens après les avoir fait conduire, par flottage, jusqu'aux ports de Clamecy ou de Vermenton. Ils sont organisés en 3 compagnies, celle de la Cure, celle des Petites Rivières (Beuvron et affluents) et celle de la Haute Yonne, de beaucoup la plus importante.

Cartes des 3 Compagnies de Flottage

— L’hiver, les propriétaires de forêts font couper les arbres par les bûcherons. Quand ils sont coupés et débités, les débardeurs mènent les bûches au bord de nos rivières, dans les ports de jetage, comme tu le vois là .
Ils burent de l’eau de la gourde.
— Sur les ports, le bois se repose, il finit de souffrir, il attend, il meurt doucement avant d’aller dans l’eau.
Après le repas, Henri s’était installé, les jambes allongées, le dos contre le tronc de l’arbre qui les ombrageait et il avait fermé les yeux.
— C’est sur les ports que viennent les marchands. Ils regardent bien le bois, ils mesurent, ils touchent, ils calculent combien ils vont gagner...
Henri ne dormait pas.
— Puis en novembre, propriétaires et marchands se rencontrent à Château-Chinon, une grande ville, là -bas, vers le nord, pour la foire aux bois. Entre eux, ils s’entendent sur le prix et le bois change de propriétaire.

- Extraits de "Les Etangs de Marrault" Francis Farley -

A la Toussaint suivante, presque une année après la coupe, la "foire aux bois" aura lieu, à Château-Chinon. La propriété des bois coupés passera donc de celle de propriétaires forestiers à celle d’une vingtaine de marchands forains qui se chargeront d’acheminer les bûches jusqu’à Clamecy ou Vermenton. Là , la rivière devenue navigable pourra porter les trains de bois.

Affiche de la foire aux bois de 1910


Le martelage

— Après la vente, dans les quinze jours qui suivent, sur tous les ports de jetage, on voit arriver une foule de gens avec des marteaux portant la marque des nouveaux propriétaires et, tout au long des rivières, on n’entend plus que le bruit du martelage sur les bûches frappées à la coupe. Il faut faire vite. Les rivières écoutent et se préparent.

- Extraits de "Les Etangs de Marrault" Francis Farley -
Tableau de marques de martelage

La première opération à effectuer est celle du martelage. Il s'agit d'ajouter, à l'aide de marteaux gravés, la marque spécifique de chaque marchand forain à celle des propriétaires forestiers...

Empreinte de marteau à martelage

Des milliers de bûches à frapper, à chaque extrémité, en un temps record ! Mais comment, sans cela, les identifier lorsque celles-ci auront descendu, en vrac, les ruisseaux du Morvan, puis le cours supérieur de l'Yonne ?

La fabrication de ces marteaux gravés restait une industrie particulière à Clamecy, qui, outre les besoins locaux, en exportait jusque dans les Vosges...

Société scientifique de Clamecy

- On a répertorié plus de 400 marques différentes, représentant des lettres ou des signes permettant d'identifier le propriétaire. Chaque propriétaire avait sa marque. Les marteaux à marteler étaient fabriqués par la maison Berrier à Clamecy; le musée de Clamecy en possède une intéressante collection.

Marteau à marteler

Au 15 novembre, le travail doit être terminé, car la première étape du flottage va commencer...
Sur la Cure et les "Petites Rivières" une seule étape suffira pour acheminer le bois vers les "ports d'aval" où seront confectionnés les trains. Pour la Haute Yonne les difficultés du trajet et la masse plus importante des coupes obligeront à en faire une seconde.

On parlera alors du "petit flot" et du "grand flot".



Le flottage

En principe, quand on parle du flottage dans le Morvan, on le fait globalement sans distinction entre celui de la Cure et celui de l'Yonne. Or, à écouter les personnes qui ont participé au flottage des bois, entre 1910 et 1920, tant sur la Cure que sur l'Yonne, il est évident que les deux rivières ont connu des exploitations différentes même si, en gros, il s'agit de faire descendre des bois par l'eau courante :

    - L'Yonne est soumise aux «entrepreneurs de flottage» qui embauchent des hommes pour suivre les bûches avec des crocs (m'neux d'iau ou poules d'iau). Par contre, la Cure est directement exploitée par les marchands de bois qui payent des «facteurs» qui eux-mêmes sont chargés d'engager des «fiotteurs» qui feront descendre le bois avec des «aicrots».
    - Pour l'Yonne, se tient une «foire au bois» à Château-Chinon début novembre. C'est là que se réunissent les marchands de bois et les vendeurs après examen des coupes. Pour la Cure, on se réunit simplement dans un bistrot (comme à Mazinien ou à Marigny l'Église) et on fait affaire là -même.
    - Moins d'étangs entrent en jeu sur la Cure puisque les Settons, considérablement chargés d'eau, permettent d'évacuer le bois en une dizaine de jours. Sur l'Yonne, par contre, cela s'étale sur 2 ou 3 mois ; le flot a lieu une fois par semaine le temps que les différents étangs, lâchés à cette occasion, se remplissent à nouveau.
    - Les m'neux d'iau ou poules d'iau de l'Yonne effectuent de moins longs parcours le long des rivières que les flotteurs de la Cure : 4 à 500 mètres pour les premiers, jusqu'à 10 kilomètres pour les seconds.


Le flottage sur la Cure

Différentes étapes du flottage sur la Cure


Le réservoir des Settons

Barrage des Settons
Le réservoir des Settons (Digue du barrage inaugurée le 13 mai 1858, achevé en 1861) a donc été construit dans le double but d'augmenter le volume d'eau des éclusées de la Cure et de l'Yonne, et de favoriser le flottage à bûches perdues.
Depuis cette époque, la navigation par éclusées a disparu et a fait, place à une navigation continue qui ne saurait elle-même se passer d'un supplément d'alimentation.
Pendant l'été de fréquentes prises d'eau entretiennent un niveau constant dans les biefs de la Cure en aval de Vermenton et dans ceux du canal du Nivernais et de l'Yonne qui font suite.
Aux premiers mois de chaque année, le réservoir fournit au flottage des quantités d'eau variables, suivant l'état des cours d'eau.
L'Etat ayant seul supporté les dépenses d'un travail destiné à satisfaire deux services différents, devenait le dispensateur naturel des eaux du réservoir.
C'est ici encore qu'intervient le Syndicat de la Cure pour l'usage de ces eaux. Un volume déterminé est mis à sa disposition par les ingénieurs, et l'agent général donne directement au garde du réservoir les ordres de lâchures. Sous le rapport du mode de distribution et de la quantité d'eau accordée par l'État au flottage depuis la construction de ce réservoir, il convient de considérer deux périodes :

1ère période. - La première période s'étend depuis l'année de la construction (1858) jusqu'à 1887. L'Etat, par suite d'une convention amiable avec le syndic, affectait annuellement au flot cinq à six millions de mètres cubes dont la compagnie disposait à son gré. Celle-ci formait alors des courues intermittentes, destinées à accélérer la descente du flot, à raison de cinq à six mètres à la seconde ; généralement, cette quantité était insuffisante et l'administration accordait un supplément qui variait suivant la tenue du réservoir et l'abondance des eaux en rivière. On arrivait ainsi, pendant ces courues à doubler le débit de la Cure.

2ème période. - La seconde période est postérieure à 1887. La compagnie ayant reconnu qu'il serait préférable pour elle de procéder par lâchures continues, l'État lui accorde pendant les vingt ou trente-jours, que dure le flottage, une quantité de quatre à cinq mètres cubes par seconde et même six mètres cubes par exception. Elle peut disposer ainsi, pour chaque flot, de dix à douze millions de mètres cubes, quantité très suffisante pour le mener à destination.

Actuellement le transport d'un stère de bois, depuis le port de flottage jusqu'à Paris, ne coûte que 4 fr.20 à 4 fr.50, soit 2 fr.15 à 2 fr.30 pour le flottage proprement dit, et 2 fr.05 à 2 fr.20, pour le transport en bateaux.
J. Prévost - Février 1892


Le jetage

La durée du flot étant de près d'un mois, il arrive que les prévisions relatives au régime de la rivière ne se réalisent pas toujours. Si les eaux sont trop abondantes, les bois s'en vont à la dérive, dans les propriétés riveraines. Si, au contraire, elles deviennent basses, si la gelée survient, le flot est exposé à rester en route.
II faut recourir alors aux étangs construits sur le parcours des ruisseaux et surtout au réservoir des Settons. En examinant la carte hydrographique des bassins de l'Yonne et de la Cure, on remarque que les affluents sont constellés de petits étangs qui ont été construits dès l'origine du flottage pour en régulariser le débit. Lorsque les eaux manquent, les réserves sont lâchées par courues ou à jet continu suivant les besoins. Grâce à ce procédé, le plus petit ruisselet dont le cours se tord en méandres capricieux, dont le lit est entrecoupé de cascatelles et souvent barré par des obstacles sans nombre, peut néanmoins servir de véhicule à des quantités de bois invraisemblables.

La Cure, au point de vue du flottage, est divisée en cinq sections ou rejets correspondant aux affluents qui y portent leurs bois :

- Le 1er rejet commence au Saut de Gouloux et finit au ruisseau du Vignant, près de Saint-Brisson : longueur 3,5 Km
- Le 2ème rejet commence à ce dernier ruisseau pour finir au ruisseau de Saint-Marc : longueur 6,5 Km
- Le 3ème rejet commence au ruisseau de Saint-Marc, et finit au Chalaux : longueur 9,5 Km
- Le 4ème va du Chalaux au ruisseau de Brinjame : longueur 7 Km
- Enfin, le 5° et dernier s'arrête au pont de Blannay : longueur 18 Km

L'agent général donne, les ordres d'embarquement, de façon à faire concorder le flot des petits affluents avec celui de la rivière principale.

Barrage des Settons

Nous sommes au pied du barrage des Settons, à quelques, kilomètres des sources de la Cure, au jour fixé pour l'embarquement. Tous les intéressés sont présents. Depuis l'aube jusqu'à midi, 200 ouvriers, hommes, femmes et enfants, lancent les bûches à la rivière sur une longueur de 4 à 5 kilomètres : c'est ce qu'on appelle le jetage. Il faut se hâter, car il est interdit de jeter aucune bûche après le passage de la queue du flot.
Les premières bûches s'arrêtent le long des berges, dans les noues; mais bientôt le lit se régularise, un chenal se forme au milieu, où le courant emporte la plus grande partie du bois. Cependant un rocher, ou tout autre obstacle, suffit pour retarder l'écoulement : le bois s'y accumule en longs îlots qu'on appelle des rôties.
Lorsque les piles sont épuisées, les ouvriers repoussent, dans le courant, les bûches qui s'étaient attachées aux rives et empêchent leur agglomération. Parfois, malgré tous les efforts d'un personnel nombreux, de véritables barrages flottants, des prises, se forment entre les rochers ; les bûches s'enchevêtrent, s'amoncellent, se brisent avec fracas, et ces banquises provoquent parfois l'inondation des rives et l'envahissement, par le flot. Jour et nuit on, travaille pour détruire l'obstacle, non sans les plus grands périls. Tout à coup un mouvement se produit dans la masse, la débâcle s'opère, l'avalanche se précipite avec furie, et il faut s'efforcer d'en restreindre les dégâts en la maintenant entre les rives. Les épaves disséminées sur les plages devront être de nouveau rejetées dans le courant, jusqu'au moment de l'arrivée de la queue du flot.
Les jours suivants, on dépassera Montsauche, Gouloux, Dun-les-Places, Marigny, Chastellux, Cure, etc., en recueillant au passage les flots secondaires des petits affluents, et bientôt il ne restera plus une seule bûche sur les ports.
Le principal affluent de la Cure, le Cousin, a flotté pendant de nombreuses années. On trouve aux archives d'Avallon, au registre des Délibérations de la Chambre de Ville (BB9, année 1704), une injonction faite au sieur Berthier, préposé au flottage ; l'invitant à réparer les dégâts causés par le flot au pont Baré, construit en 1669.

En temps ordinaire, le lançage suit la progression suivante :

1ère journée. - Depuis le barrage des Settons jusqu'au pont de Cure, à Montsauche ;
2ème journée. - Du pont de Cure au pont Dupin ;
3ème journée. - Du pont Dupin au ruisseau du Vignant ;
4ème journée. - Du ruisseau du Vignant au ruisseau de Saint-Marc ;
5ème journée. - Du ruisseau de Saint-Marc à la forêt au Duc, et ainsi de suite jusqu'à Blannay, où la queue du flot n'arrive guère avant le 25ème ou 30ème jour.

Ce qui correspond à une vitesse moyenne de 100 m à l'heure.

Après 25 à 30 jours de ces manoeuvres laborieuses, le flot sera parvenu à Vermenton, où il sera retenu par des arrêts ou alingres, sorte de chevalets en charpente disposés en arêtes de poisson, reliés entre eux de façon à barrer le courant, et à faire converger les bois vers les deux rives, où se fait le tricage.
Par un temps souvent rigoureux, des hommes, des enfants, recrutés pour la circonstance, les jambes à l'eau, jettent le bois sur la berge; d'autres en font le tricage des marques : chaque bûche portant une marque particulière, un coeur, une ancre, un carré, etc., les plus illettrés peuvent en connaître le propriétaire. Les piles s'allongent symétriquement en rangs serrés, perpendiculaires aux rives et suivant des règles précises établies par l'ordonnance de 1672 ; le bois sèche, et dans quelques semaines les bateaux commenceront à le charger et à le descendre sur Paris.
J. Prévost - Février 1892


Dernier train de bois - 1880

Le flottage par éclusées ne se pratique plus depuis 1879 sur la partie de l'Yonne située à l'amont du confluent de la Cure. La mise en service de l'embranchement de Vermenton, ouvert à la batellerie le 1er juin 1881, a entraîné la suppression des éclusées sur la Cure et par suite sur l'Yonne à l'aval du confluent de cette rivière. Le régime de la navigation permanente peut donc être considéré comme définitivement établi, sur les deux cours d'eau, depuis le 1er juin 1881. En fait il l'a été dès le mois d'août 1880, date à laquelle le dernier train de bois est descendu de la Cure jusqu'à Auxerre par les pertuis.


« Le chemin qui marche » - 26 décembre 1895

Petit flot sur le Caillot au lieu-dit : Le saut de Gouloux

J'ai assisté au saut de Gouloux à ce qu'on appelle « L'heure du flot ». C'est un spectacle grandiose dans sa simplicité.
L'heure du flot est celle où, grossie par les pluies d'automne et l'eau accumulée dans les réservoirs (au moyen d'étangs), la forêt coupée, s'en va par « Le chemin qui marche ».
C'est ainsi que les montagnards appellent l'Yonne et la Cure, quand elles entraînent à Clamecy ou à Vermenton les bois du Morvan.
A ce cri: « Le flot! » toute la population accourt sur la berge, car le pays est pauvre; et, en pareil jour aucun bras n'est dédaigné. Femmes et enfants peuvent gagner leur pièce blanche à jeter le bois dans l'eau. Les hommes, armés de longs crocs, s'échelonnent le long du courant, pour empêcher la goulette (milieu de la rivière) de s'obstruer.
Dans les rapides, l'avalanche de bois se précipite avec un bruit assourdissant. Elle bondit de rocher en rocher, se heurte dans une mêlée formidable. Quelques bûches, profitant d'un remous, s'accrochent aux plis de la rive ou à un quartier de roche qui surplombe ; mais la gaffe de la poule d'eau (homme chargé de la surveillance du flottage), harponne le bois et lui fait reprendre son voyage. D'autres bûches plongent, s'engagent dans le gravier ou se prennent dans les racines. Celles-là ne reparaîtront plus; on les appelle canards. Ces canards occasionnent une perte considérable. Quand l'un d'eux se met en travers du courant, qu'il s'arc-boute à deux pointes de roc et résiste à l'effort des eaux; le flottage s'arrête immédiatement. L'eau reflue ou s'échappe en bouillonnant entre les bûches, qui s'accumulent avec une prodigieuse rapidité. L'obstacle toujours grandissant forme bientôt un barrage, qui s'élève parfois à la hauteur d'un second étage, sur une étendue de plusieurs centaines de mètres. La rivière furieuse, mais impuissante, se brise contre ce barrage. On donne à cet arrêt le nom de prise.
Il s'agit de déprendre.
Des cris retentissent de toutes parts. D'aval, et d'amont, les mouleurs, fureteurs, marteleurs et gallvachers (charretiers) se précipitent sur la rôtie (masse de bois arrêtée).
Les femmes se lamentent bruyamment, car l'opération de la déprise n'est pas sans péril pour les flotteurs; mais la rivière est sourde aux plaintes comme aux menaces, et le bois, en se précipitant de 7 ou 8 mètres de haut, cause un tel fracas que les échos de la vallée en retentissent au loin.
Grimpé sur un traîn de bois ou sur une roche glissante, le flotteur, armé d'un croc, s'efforce de rompre le barrage. Malheur à celui dont le pied manque ou dont le chancelant échafaudage s'effondre ! Plus d'un pauvre diable a trouvé la mort au fond du « chemin qui marche ».
Marie De Fos


Témoignages

Le parcours des flotteurs

1978 / 1979 - Deux hommes ayant participé au flottage sur la Cure entre le Ru de Saint-Marc et le Ru de la Nesle (Lingoult) racontent leurs souvenirs...
Ses renseignements sont d'autant plus précieux que pratiquement rien n'a été dit sur le flottage de la Cure - tous les ouvrages étant consacrés à l'Yonne et à Clamecy - et que, jusqu'alors (sauf erreur) aucun collectage oral n'a été fait auprès de ces personnes qui, jusqu'en 1923 ont effectué un travail dont l'organisation date du XVIème siècle. Il est temps de l'entreprendre, car la véritable histoire du flottage en Morvan ne sera écrite que lorsqu'un grand nombre de ces témoignages auront été recueillis auprès des derniers, hommes et femmes, à avoir participé au flot. Le flottage, nous dit M. Pichot, était un «amusement» ; certes, pour ces hommes qui se retrouvaient ensemble pour flotter pendant une dizaine de jours, l'entreprise avait du bon. Il n'en était pas de même pour les trieurs de Clamecy et de Vermenton (sur la Cure) qui se retrouvaient au chômage après le flot et qui n'avaient pas la ressource, comme les hommes du Morvan, d'une petite culture ou d'un travail annexe : la vie des flotteurs du Morvan et celle des flotteurs de Clamecy n'est pas à comparer et cependant ... si l'Yonne et la Cure descendent leurs eaux jusqu'à Paris, Paris remontait à elles à travers les idées nouvelles colportées par les flotteurs qui revenaient de la capitale à pied, après le voyage du flot. C'est eux qui ont contribué à la solide tradition républicaine du Morvan, pays ouvert aux idées nouvelles, pays relativement progressiste, en tout cas, pays laissé pour compte par les derniers gouvernements sous prétexte qu'il « vote mal» !

M. Octave Pichot, agriculteur en retraite à Athée, Saint-André-en-Morvan, est âgé de 83 ans. Alors qu'il n'avait qu'une quinzaine d'années, il participait au flottage sur la Cure avec des camarades de son âge.

    Y en ai qu'étint hardis pou entrer dans iau ; pou défaire des fois des piles qu'étint airétées vé une grosse roche ; alors les beuces s'arqueboutint lai peu au fur et à mesure qu'ai l'en venot du haut ai se collint de conte ai peu tout le temps ; alors ai feillot monter dechus pou l'erfer erdémarrer peu des fois tu partos quant une longueur de bois d'ichi lai route (7 - 8 mètres) ; çai te tapot dans les jambes, partout. Ai y aivot une échelle de chaque côté qu'on jetait sur la pile pou sortir. Quand çai faitot des tas coume çai, on aippelot çai une roûtie.
    Tins, au m'lin de Saint-André, c'étot pas le filon daiquant les chevalets ; ai y en aivot du bois d'airété lai ! On ailot sarcer çai é Iles pas loin des Iles et on aimenot çai jusque sô Chastellux ai lai Nesle, au ru de lai Nesle ; peu lai, ai y aivot des gars qu'erpeurnint lai suite. Peu é Iles on rencontrot les gars que venint de pus haut ; peu y en aivot que s'en ailint, qu'en aivint aissez. On étot une bande lai-dessus, bien une trentaine, 40 ai feillot du monde, vieux. On siguot lai rivière, c'étot nettoyé en ce temps-lai ; peu de temps en temps ai y aivot des roûties. Le bois blanc, ça flotte pas mal, le charme flotte bien aussi ; mais le chêne, mon vieux, pas du tout ; le foyard, bien aitou ; parce que dans le chêne ai peurnint tout, dans ce temps-lai ai ne pardint pas le bois ; les taules de pièce, ça flotte mal ça, ça a une peau épaisse, une fois que c'est plein d'eau, ça coule. Ai l'aippelint çai des canards ; çai restot pou l'an-née d'aipré ; ai y aivot des gars exprès que passint peu que les retirint de l'eau une fois que le flot étot passé pace que quand min-me que tu les eus outées pou les ermette dans iau, ai se piantint peu ai y aivot ren ai fé ; alors ai les empilint le long de lai rivière pou l'an-née d'aipré.
    Une fois qu'on étot ai Chastellux, on ermontot chez soi ; feillot compter 8 - 10 zors de flottage au printemps tous les mateignes. Peu on se pressot pas ben pou descendre de là -haut ; çai comptot dans lai zornée ! Oh ! Peu ai feillot trâner l'éselle ; ai feillot éte deux bonshommes pou lai porter. Peu dans des coins, c'étot pas facile de lai porter, dans les branches tout ça, mai çai se faitot. Peu les musettes, feillot les porter. Peu pou le goûter ai midi, mai fouai, le flot s'airrétot ai peu c'que velot descendre, çai descendot quouai que tu veux. Çai se peurnot pus bas dans une roche peu on le défaitot aipré le goûter d'aiquand les aicrots. L'éselle, çai sarvot ai monter chu le tas de bois ; ai y en aivot des fois de 1 m.50 d'épaisseur ai peu pou les airaicer de dedans, attention. On essaiyot de fé un passage au milieu. Des fois, lai force de iau, çai faitot torner c'qu'étot pris. Ma ai feillot fé attention de pas partir d'aiquand le bois ; pare qu'ai t'embarquot, hein ! Pace qu'ai y aivot d'iau attention, peu on mettot l'éselle pou en sortir. S'ot des hommes que y ailint, des gars de 25-30 ans ; peu ai y en aivot qu'aivint pas pou d'iau, tu sais. Ai rentrint dedans tout haibillés ! Mouai, j'aivos 15-16 ans dans ces moments-lai. On étot payé ai lai zornée, i me raipeule tozors du prix : 7 francs par zor. Ah ! c'étot des drôles de zornées, vieux ! Ma nous, on y ailot putôt en rigolade, en gameignes, tu vouais ben. Les gars étint payés pus cher ; nous, c'étot les arpettes du flot. C'étot les facteurs que nous payint ; i me raipeule tozors, ai l'étot de Mongaudier (commune de Marigny l'Église) le bonhomme, c'étot un nommé Jean C... . On ailot se fé payer ai Marigny chez un bistrot, le rendez-vous étot dounné lai. On étot prévenu quouai. Çai devot veni du marchand de bois, cet argent là .
    Quand on descendot, on arrivot au Chalaux du temps que le lac n'étot pas fait ; ai y airrivot pas beaucoup de bois de por lai, ai y aivot pas tant d'iau que chu lai Cure. Lai, çai fiotot ben. Ma des fois, une beuce se piquot dans une roche, alors tu parles si les ôtes aivint de lai prise pou s'y coller, ai se mettint en travers. T'entendos que ç'ai tocot des coups le bois. Ai y aivot une charge ! c'étot pas facile ai déprendre, s'ot coume quand t'é un bon piquet d'aigacia que t'enfonce ai lai masse. Ben souvent les gars, les principaux fiotteux, ai l'essayint de couper lai pile en deux de façon que çai torne. Alors çai t'en emmenot, mon pauv'vieux et les gars étint dessus ! Ai sautint dans iau pou pas se fé esquinter les jambes. Tout haibillés, çai faitot pas chaud. Ma c'étot une partie de plaisir le flottage ! On rigolot, peu des fois quand les musettes étint loin, ai nous enviaint les sarcer les gameignes : « Faut ailer sarcer les musettes, ai l'ot temps de goûter !» On ailot sarcer les musettes qu'aitint aiccrochées por lai. Ah ! c'étot de lai rigolade quoi ! On y ailot putôt en amateurs qu'en vrais fiotteux, tu vouais ben. J'étint ben une quinzaine de gameignes, des fois d'pus. Ai y en aivot 3 - 4 de Vilaine, ai côté de Montigny. Les gamins djint : «I ne vont ailer au fiot, marse, i ne vont ailer fiotter ! ». Ine aivint des aicrots aitou, nous...

Monsieur R.C. de Quarré-les-Tombes :

    J'ai commencé à flotter pendant la guerre de 14-18 puisque tous les hommes étaient partis, en 17-18 parce qu'au début il n'y avait pas de bois coupé. En 18 on gagnait 7 francs par jour pour ceux qui passait l'eau.
    Quand on passait l'eau, on avait une blouse, un pantalon, des sabots (les chaussons on les mettait dans les poches) et on avait un gilet noir ; c'était en moleskine, et ça coûtait 5 francs chez le marchand. Alors tous les objets qu'on avait, on les mettait dans les poches. Et quand on passait l'eau, on enlevait le pantalon, on l'attachait autour du cou ; on retroussait la chemise et le gilet et avec la ficelle on attachait la blouse. Et on passait l'eau pour aller démolir le tas de bois ; on appelait ça une roûtie. Et quand le bois était parti, il fallait repasser l'eau pour revenir sur la berge, pas d'histoires tant pis si on avait chaud, des bûches commençaient à se mettre contre une roche et au fur et à mesure qu'elles arrivaient, elles s'entassaient sur une longueur de 7 - 8 mètres. Il fallait commencer à dégager les bûches vers la roche et quand ça commençait à repartir une fois qu'on les dégageait, on entendait les gars sur la berge qui criaient «çai écrâme ! », ça veut dire que ça s'étalait. Alors on sautait sur la queue ou alors on restait sur la roche, ça dépend. Il ne fallait pas se mettre sur le côté parce que le courant était trop fort. Une année, il y avait G.M. qui était de mon âge et Marcel ; il y avait une roche qui existe toujours avant d'arriver à la Verdière ; il y avait toujours une roûtie qui s'empilait là ; alors ce matin là il y a le père J.C. qui était chef du personnel, il leur dit de monter sur le tas. Mon vieux, quand les gars sur la berge ont crié «çai écrâme», ils ont sauté tous les deux sur le côté et ils ont été roulés dans l'eau. Alors le père J.C. les a envoyés se chauffer. Et ça se passait fin mars - début d'avril, alors ça ne faisait pas chaud. C'est les seuls que j'ai vus être roulés comme ça dans l'eau. On ne les a pas revus de la journée.
    Le J.C. était facteur, comme on disait ; c'est lui qui engageait les gars et qui donnait les directives. Quand il nous engageait c'était simple : il connaissait tous les gars. La première fois, il ne voulait pas me donner 7 francs. Eh ! bien, je lui ai dis : «j'irai pas !». On était payé à Marigny, à l'actuel café Manet. Là c'était une bonne journée ! On était payé un mois après ; on se le disait entre nous et on montait à Marigny. Les facteurs étaient payés par les marchands de bois et nous aussi. Ils tenaient une comptabilité.

Une partie de la Cure
Cartes de la Cure levées par M. l'abbé de Lagrive entre 1732 et 1737 - Fichier pdf

    Nous, on se prenait sous ceux de Dun, du Vieux Dun qui quittaient au ru de Saint Marc. Alors nous on reprenait là et on quittait où est le lac maintenant sur le Chalaux et il y en a d'autres qui reprenaient plus bas. Mais pendant la guerre de 14 on allait jusqu'à Lingoult. A ce moment là , on a été partis 10 jours ; à 7 francs par jour, ça faisait 70 francs. C'était déjà pas mal.
    Le matin on partait, on se groupait. On montait par les Iles. Un matin, j'arrive aux Iles, je perds mon sabot. C'est une grand'mère, la mère Brizard, elle me dit : «tiens, mon gamin, je vais te donner un sabot». Deux jours après, j'étais avec un gars au-dessus du pont de Crottefou, je vois mon sabot qui se baladait sur l'eau dans une petite crique. J'ai pris mon sabot et le dimanche d'après je suis allé rendre celui de la mère Brizard et elle nous a payé le café. C'était une brave femme. Parce qu'on buvait beaucoup de café quand on passait dans les patelins comme ça. C'était de l'eau chaude un peu noire bien sucrée.
    Pour la vente des coupes, ça se passait chez Charretier à Mazinien ; les marchands de bois se trouvaient là et les gars venaient pour avoir leur canton, ce qu'ils avaient à faire. C'était des coupes qui étaient difficiles ; ils exploitaient ça avec des bœufs et une petite charrette. Les bêtes avaient plus de mal à remonter à vide qu'à descendre le bois.
    En principe ici, c'était les gens d'Avallon qui achetaient les coupes et qui embauchaient les bûcherons et les charretiers ; c'était une industrie mais les ouvriers n'étaient pas couverts. J'en ai connu certains qui ont attrapé une congestion pulmonaire en tombant dans l'eau et ont failli y rester, ils n'étaient pas couverts par les lois sociales.
    A cette époque là on n'était pas tellement nombreux pendant la guerre. Je me rappelle, il y avait le père Léon et le père Parizot. On les trouvait vieux ; je ne sais pas quel âge ils pouvaient avoir. Et il y avait des centaines de stères. Quand on a passé le pont de Crottefou, qu'on va sur Crottefou, le champ qui est à gauche, c'était le port. Eh bien ! c'était rempli de bois ; et des piles à hauteur d'hommes et aux Iles c'était pareil.
    Dans l'hiver on coupait le bois ; les charretiers emmenaient ça au port des Iles ou à celui de Crottefou et toutes les bûches étaient marquées aux initiales du marchand de bois. Ces bûches étaient jetées à l'eau avant l'arrivée des flotteurs.
    Quand on reprenait au ru de Saint Marc, les gars de Dun avaient amené tout le bois du flot jusque là , la veille ; on arrivait au ru de Saint Marc et tout le bois s'était arrêté là , il était pris dans les roches, il était entassé et nous, on le déprenait ; et on recommençait à le faire descendre. En 1918, on a mis 10 jours pour le faire descendre du ru de Saint Marc à Lingoult ; ça dépend comme ça s'entassait. Il y a des roches où des années tout allait bien et l'année d'après ça n'allait plus. Ça dépend comme les premières bûches s'emmanchaient. Il y a une fois entre Crottefou et les lles,à la Piarre Boun'artot comme ils disent, il y avait un sacré tas. J'étais avec un cousin. Quand c'est parti, il a fallu mettre nos aicrots en avant pour empêcher les bûches de nous prendre. Et il y avait une sacré profondeur d'eau ! On était une quinzaine et de chaque côté de la rivière. Et les gosses, ils marchaient devant pour dégager les bûches qui se mettaient dans les recoins. On était étalés le long de la rivière. Et le C. quand il y avait des entassements de bois, il ne voulait pas qu'on monte à deux parce qu'il avait peur qu'on y passe trop de temps.
    Le long de la rivière il y avait un sentier et dans les champs, il y avait de petites échelles pour passer les haies et des fois c'était une fourche qui était plantée. On mettait le pied dessus et on passait de l'autre côté. Il y avait une servitude pour traverser les propriétés. Il y avait des chemins partout à ce moment-là . J'avais un oncle qui restait au Mézoc de Froy. Il venait nous voir comme ça par le Vieux Dun, les lies en passant par les bois et les prés.
    Pour pousser les bûches, on avait des aicrots ; c'était le maréchal qui les faisait et on leur mettait un long manche assez flexible. Il y avait des vieux là qui avaient un matériel toujours bien tenu ; avant de partir au flot, on passait chez le maréchal faire affûter la pointe.
    Quand on passait des moulins, ça ne posait pas de problèmes. Avant l'écluse, il y avait des chevalets ; c'était des arbres entiers dont l'extrémité était dans l'eau et il y avait des lattes clouées pour empêcher les bûches de passer. Et en aval, il y avait un déversoir pour amener l'eau à la roue. Il appelait ça le perrier ; il y avait des poutres qui poussaient l'eau sur la roue du moulin. Au moment du flottage on levait la poutre et les planches foutaient le camp pour laisser les bûches. Et nous, on passait sur la poutre ; là ça poussait parce que la rivière s'engouffrait là . L'A.C. a plongé dans l'eau et il est sorti au moins 30 mètres plus loin. C'est par là que les bûches s'engouffraient. Chaque équipe avait son secteur. Les gars des hameaux, ils y tenaient. On démarrait là , à tel endroit ; il ne fallait pas que les autres du dessus descendent un jour de plus.
    A Lingoult, c'était les gars de Saint-Germain et Chastellux qui reprenaient. Une année, on avait terminé aux Iles ; on s'est arrêté chez l'Eugène. On a soupé là parce qu'il pleuvait à torrent et sur les minuit, on est rentré et il pleuvait toujours. Il y a des fois où ça n'était pas drôle. Le midi on goûtait sur place. Je me rappelle une fois après la guerre, c'était l'E.C. qui était facteur. On était trempé comme des canards et on a fait du feu ; on a pris des bûches de bouleau et avec nos couteaux on a fait des copeaux et on a bien brûlé 4 - 5 stères de bois.
    Pour rentrer le soir on s'attendait les uns les autres. On laissait nos aicrots dans un coin et on revenait ensemble. On laissait le bois dans la rivière et il s'arrêtait de lui même le temps qu'on le reprenne le lendemain. Quand il arrivait à Vermenton, il était trié et il partait sur des péniches vers Paris.
    Et au mois d'août on retirait les canards de l'eau ; c'était des bûches qui étaient pleines d'eau et qui ne flottaient plus. On avait 5 sous de la bûche. Le J.C. venait nous chercher et on les empilait en carré pour les faire sécher et le printemps suivant on les remettait à l'eau au flot suivant.
    Les deux dernières années, ils avaient fabriqué des échelles qui faisaient peut-être 4 mètres de long avec une latte au milieu. Ça fait que quand le bois se prenait dans une roche et qu'on finissait de le déprendre, si on avait chaud on ne passait pas dans l'eau froide ; on lançait l'échelle en l'appuyant sur la berge et en la posant avec un aicrot. Mais des fois ça tombait à côté. Je me rappelle une fois l'E.P. il était monté sur le tas de bois pour le défaire ; on lui passe l'échelle, je ne sais pas comment il fait son compte, il s'emmanche la jambe entre la latte du milieu et le montant ; un peu plus l'échelle partait avec lui. Il était calme, il disait : «ah ! mon vieux, j'étos ben pris». En attendant, il aurait pu se noyer. Il y avait deux échelles que les gamins traînaient. C'était des gosses de 13-14 ans ; on les louait après l'école. je me rappelle, il y en avait un qui s'appelait Boucrit, il venait flotter avec son père. Un jour, on avait goûté chez Petillot, à Crottefou, le bistrot qu'il y avait là . Quand on a repris le boulot, il y a un vieux qui dit au Boucrit : «Eh ! mon gamin, va donc chercher un litre, t'avais cent sous !» Alors Boucrit répond au pépère : « Tes 100 sous, il y a longtemps qu'ils sont écossés ! ». Les dernières années, on leur donnait 10 francs aux gamins.
    Quand j'ai commencé le flottage, j'avais 17-18 ans. Et en 21 quand je suis revenu de l'armée au mois de mars, on gagnait 25 francs par jour et en 22 je me suis expatrié. Le flottage, ça s'est terminé en 22 ou 23. Parce qu'en 22, je crois, il n'y a pas eu assez d'eau dans la Cure et la rivière s'est barrée ; il y avait des monceaux de bois qui ne pouvaient pas partir. Tout a été emmené par camion et le flottage s'est arrêté. C'est E.C. qui a succédé à son père et c'est lui l'a terminé.


Flottage sur l'Yonne

Le petit flot - De la coupe vers le cours supérieur de l'Yonne

L'Yonne
Cartes de l'Yonne levées par M. l'abbé de Lagrive entre 1732 et 1737 - Fichier pdf

Vers le 15 novembre commençait le voyage des bûches. On profitait des périodes pluvieuses pour flotter, à bûches perdues, par lachées et courues, sur le moindre petit ruisseau et amener ainsi le bois sur l'un des vingt deux ports de jetage situés sur l'Yonne entre l'Étang d'Yonne et le port des michots, soit sur plus de 35 km en partant de la source.

Pour obtenir un débit d'eau suffisant, chaque ruisseau possédait une ou plusieurs retenues dont on lâchait une partie de l'eau au moment du départ du flot. Nombre de ces réservoirs artificiels ont dû être construits spécialement à cet usage, mais chaque fois que cela était possible on s'est contenté de rehausser les barrages, les "gautiers", des nombreuses pêcheries existant depuis des temps ancestraux.

Carte des étangs

Le lit de chaque ruisseau était lui-même vérifié, préparé chaque année, les roseaux, branchages et graviers risquant d'entraver le passage du flot étaient retirés.

Aux endroits où le cours d'eau est naturellement élargi, il faut placer pieux et fascines pour le rétrécir, régularisant ainsi son profil et augmentant son débit. Lorsque les rives se révèlent trop fragiles, on les barde de dalles de pierres empêchant une érosion trop brutale.

Enfin, il faut prévoir de retenir les eaux sur les biefs des moulins, sans quoi roues à aubes et mécanismes seraient irrémédiablement détruits.

Le spectacle est inoubliable (ARDOIN-DUMAZET, 1890) :

"Les étangs vidés, un bruit sourd se fait entendre, le flot arrive. Il passe avec la rapidité de la flèche, entraînant dans sa course des multitudes de bûches qui se pressent se heurtent, jaillissent en l'air au contact d'une roche. En certains endroits, le ruisseau est resserré entre des entassements formidables de blocs ; alors les bois s'accumulent, montent les uns sur les autres, comme les glaces de la Loire pendant une embâcle ; en arrière, le flot se gonfle, amoncelant sans cesse de nouvelles bûches. Puis un mouvement se fait dans la masse (la rôtie) à travers laquelle l'eau jaillit violemment ; on entend un craquement, un bruit terrible, la masse s'écoule et se précipite, des bûches se brisent, lançant des éclats dans toutes les directions".

Le "petit flot" ne pourra pas emporter le bois sur les ruisseaux plus loin que leur confluent avec le cours supérieur de l'Yonne. Il faudra donc sortir les bûches et les empiler provisoirement sur l'un des 22 ports de jetage aménagés à cet effet. Là , elles attendront le printemps pendant que les bûcherons iront couper le bois pour l'année suivante.

En 1827, De La Tynna et Rousseau présentaient la première opération du flottage dans La Boussole du commerce des bois de chauffage :
"Les premières jetées font peu de trajet, l'eau les range successivement de l'un et l'autre côté du ruisseau dont elles remplissent les sinuosités et inégalités jusqu'à ce que le ruisseau soit bordé entièrement. Quand ce bordage est opéré, il se forme une goulette dans laquelle les dernières ont un écoulement facile. A la fin de l'opération on dégarnit les rives, ce qui s'appelle "toucher queue"..."

— Au début, quand nos rivières surent que c’était important pour nous autres de vendre notre bois à Paris, tu penses bien qu’elles se dirent toutes prêtes à travailler, mais il y en avait de si petites qu’il n’était pas possible de leur faire porter des bois. Certaines s’étranglaient déjà avec les feuilles de l’automne. Alors, pour les aider, on a construit les étangs, comme ceux que tu vois là .
C’est vrai que la rivière d’Yonne était encore toute maigriotte et que les bûches semblaient bien grosses pour un si faible cours. François se sentait de la tendresse pour les petites rivières.
— Vers le quinze novembre, quand toutes les bûches ont été marquées, quand tout est prêt, on ouvre les étangs de la haute vallée et dans tous les ports, les hommes, les femmes, les enfants jettent le bois dans la rivière. Il faut faire vite. Il y en a beaucoup à jeter et les étangs ne sont pas si vastes pour entretenir un gros débit bien longtemps.

Une çairottée de bois

François avait les yeux grands ouverts. Il voyait tout ce qui ne se passait pas devant lui.
— C’est le petit flot.
Que n’était-on en novembre ? Comme il aurait voulu, lui aussi, jeter des bûches dans le courant.
— Mais on ne les jette pas n’importe comment. On jette d’abord une certaine quantité de bois qui n’ira pas jusqu’aux arrêts. II faut que la rivière s’aménage. Les premières bûches s’arrêtent sur les bords, s’échouent dans le creux des courbes, se fichent sur les piquets ou sont retenues par les branches tombées des arbres qui la bordent. Seulement, quand ce bois est ainsi arrêté, il dégage bien le milieu et il se forme une goulette dans laquelle tout le reste du flot pourra bien passer....
— Plus bas, bien plus bas, on a fait des arrêts sur la rivière, dans des endroits où l’on peut ranger beaucoup de bois et les bûches viennent se tasser sur les arrêts. Là , des ouvriers vont les sortir et les remettre en tas, sans se préoccuper des marques ni des natures. Le bois n’est pas encore prêt pour affronter les grosses rivières. Il faut le laisser se reposer encore. Mais on est à la fin novembre, les coupes ont recommencé dans les forêts et les ports de la haute vallée sont libres pour recevoir de nouveaux bois. On ferme les étangs pour retenir l’eau du prochain flot.

- Extraits de "Les Etangs de Marrault" Francis Farley -

Flottage sur l'Yonne

Le grand flot - De la Haute Yonne vers Clamecy

— Vient le mois de mars....
— Le froid s’essouffle. Les premiers soleils dégèlent les étangs. C’est le temps du grand flot....
— Dans les villages, le long des rivières, à Clamecy, on colle des affiches pour l’annoncer. Il faut que tout le monde soit prêt pour le jour dit.

- Extraits de "Les Etangs de Marrault" Francis Farley -

Au printemps, l’exploitation des bois pour l’année suivante était terminée. La neige avait fondu. Les étangs regorgeaient d’eau. On pouvait procéder au "grand flot"… Les bois de 22 ports de jetage, sur la Haute Yonne, étaient mis à l’eau tandis qu’on lâchait les retenues. Là encore, les "poules d’eau", ouvriers placés aux points stratégiques surveillaient l’écoulage, eux-mêmes surveillés par les garde.

Société scientifique de Clamecy
- Au mois de mars, en général vers le 15, mais toujours à une date déterminée à l’avance, avait lieu le grand flot. Le choix du mois de mars correspond au moment du plus grand débit des rivières et à celui du remplissage maximum de tous les petits étangs artificiels où les eaux étaient retenues dans l’attente de ce grand jour. Le grand flot, c’était avant tout une grande crue artificielle qui allait emporter en une seule fois les bûches des 22 ports de jetage, en amont de Clamecy, jusqu’aux ports d’aval, échelonnés entre Armes et Crain, les plus importants se trouvant à Clamecy. En quelques heures, le grand flot parvenait à Clamecy où il était arrêté au niveau du pertuis (grande vanne ou écluse pour retenir les eaux sur les rivières de flottage).
Clamecy était la véritable capitale du flottage, une sorte de grand centre de rassemblement du bois où les plus grandes quantités étaient groupées, assemblées et dirigées vers Paris.

— Arrive le grand jour. C’est vers le quinze mars. Tout au long de la rivière, les gens sont debout avant l’aube. Ceux qui sont autour des ports de jetage pour commencer leur travail, ceux de Clamecy pour attendre et pour écouter.
Angéline était allée s’asseoir au fond de la pièce pour tricoter. Dans l’endroit qu’elle avait choisi, elle était sans lumière, mais ceci ne semblait pas la gêner.
— Dans tous les ports, on jette les bûches et, petit à petit, la rivière en haut se couvre de bois. A Clamecy, on attend. C’est long. Beaucoup de flotteurs vont sur le pont de Bethléem bien qu’ils sachent qu’on ne verra rien avant l’après-midi. Il n’empêche, ils attendent dans le froid. Chacun souhaite être le premier à l’apercevoir. D’autres vont jusqu’au pertuis pour vérifier si les aiguillettes qui barreront la rivière sont bien en état et si elles seront assez fortes pour le retenir.
François changea de position.
— A midi, sur le pont, tout le monde maudit la lenteur du courant, peste contre les jeteurs de l’amont qui ne se lèvent jamais assez tôt. Personne ne songe à aller manger. Les femmes amènent quelquefois des paniers. Elles en profitent pour regarder l’eau qui va disparaître.
Henri n’avait toujours pas bougé. Maintenant, il parlait doucement. Angéline avait cédé, comme toujours, et pour le faire savoir, elle poussait des soupirs.
— Vers les cinq heures, brusquement, le silence se fait et ceux qui ont bonne oreille commencent à entendre. Généralement, le pont et les berges sont à cet instant noirs de monde. Ceux qui ont entendu le disent aux plus vieux qui n’entendent pas, et quand apparaissent les premiers bois, chacun est prévenu et tous les gens se mettent à crier. Du travail! C’est du travail, tu comprends ? J’ai vu des hommes entrer dans l’eau de mars pour toucher les premières bûches et y rester longtemps au risque de se faire broyer, ou de mourir de froid. Et c’est tout de suite le moment le plus difficile. La vie est pleine de ces choses, parce que la tête du flot n’est pas pour Clamecy, mais pour les villages d’aval. On est obligé de le regarder passer, traverser la ville et il y en a toujours trop de ce bois qu’on ne va pas arrêter.
François changea encore de position.
— Au milieu du grand flot, la rivière est noyée sous les bûches, sur des mètres d’épaisseur et des kilomètres de long, on ne voit plus l’eau. Quand vient le temps de fermer le pertuis de Clamecy, si chacun trouve qu’il est bien tard, tout le monde est soulagé et toute la ville vient voir. C’est beau une rivière de bois.

- Extraits de "Les Etangs de Marrault" Francis Farley -

Une rivière de bois à Clamecy
C'est beau une rivière de bois !



Sur les ports d'aval

Les ateliers, échelonnés sur plus de 30 ports répartis sur les deux rives de l'Yonne, de part et d'autre de Clamecy, s'apprêtent a recevoir les flots de l'Yonne et du Beuvron.
A Vermenton, on attend ceux de la Cure.
Ce sera jusqu'à 700 000 stères de bois qu'il faudra successivement tirer, triquer, empiler.

Le tirage

Le tirage

Le tirage consiste à sortir de l'eau rapidement la quantité de bois précise affectée à chaque port à l'aide d'une longue perche de 3 à 4 mètres munie à son extrémité d'un crochet acéré.

Le picot
Le picot

Brouettes
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- Il fallait agir vite pour tirer de l'eau les bûches apportées par le grand flot car elles arrivaient toujours et formaient à la surface de l'Yonne une couche qui pouvait avoir de 1 à 2 mètres d'épaisseur. Sur les bords de l'Yonne, les flotteurs armés du picot, une longue perche de 3 à 4 mètres munie à son extrémité d'un crochet acéré que l'on plantait dans le bois, tiraient vers le bord les bûches.Là , très souvent des enfants, avec une perche plus courte et beaucoup plus légère, tiraient à leur tour les bûches; de nombreuses femmes pratiquaient également cette activité. Les hommes chargeaient les bûches sur des brouettes à claire-voie, spécialement adaptées à cet effet, et les roulaient jusqu'au port situé un peu plus haut; on désignait par port un espace ouvert et proche où les berges plates permettaient l'entassement des bûches. Les hommes, par équipes de 8 à 10, déposaient les bûches pêle-mêle sur une aire appelée atelier et qui leur était affectée.



Le tricage

Le tricage

Le tricage est le tri des bûches, en fonction des marques qui ont été apposées lors du martelage. Chaque "marchand forain" doit en effet retrouver exactement le bien qu'il a acquis lors de la "foire aux bois".

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- Les bûches étaient triées et mises en piles distinctes suivant les marques qu'elles portaient; ce travail était assuré souvent et exclusivement par des femmes et des enfants. Les piles correspondaient à des normes qui facilitaient le comptage de la quantité de bois (une pile d'un décastère devait avoir 3 m de hauteur sur 3 m de couche).

Devant la nécessité de tirer de l'eau, trier et mettre en piles les grandes quantités de bois venues par le grand flot, il fallait une main-d'oeuvre considérable, ce qui occupait une grande partie de la population de Clamecy. De juillet à novembre, le bois séchait en piles sur les bords de l'Yonne: on attendait le retour des hautes eaux. C'est là que débutait pour les flotteurs et leurs familles une période de chômage.


L'empilage

Empilage à Vermenton

L'empilage enfin : chaque pile sera édifiée en fonction des différents propriétaires et selon une technique extrêmement réglementée. Des centaines d'hommes, de femmes, d'enfants s'activent afin que tout soit prêt à la mi-juillet.

Au milieu du XIXe siècle, la corporation des flotteurs de Clamecy comptait plus de quatre cents flotteurs et compagnons de rivière ne vivant que du travail que leur procurait le flot, tandis que dans les autres communes en amont et en aval, un nombre de flotteurs deux fois plus grand vivait de travaux agricoles pendant l'interruption du flot. Des paysans, journaliers, manoeuvres venaient aussi de la campagne éloignée au moment de la période active. Les flotteurs de Clamecy furent plusieurs fois en opposition avec ces éléments extra-urbains que les marchands de Paris cherchèrent à leur opposer en les utilisant comme briseurs de grève. Nous devons à M. Seguin, né à Oudan en 1859, des renseignements intéressants sur la vie d'un de ces ouvriers du dehors.

Mon bisaïeul, Jacques Seguin, né au XIIIe siècle, était à la saison du flottage empileur de bois sur le port de Clamecy. Son fils, mon aïeul, qui était l'aîné de ses garçons, était aussi empileur ; six garçons de ce dernier ont eu après lui le même métier, mon père était le sixième.
L'aîné de mes oncles était né à Oudan en 1817, il s'appelait Jacques Seguin. Il m'a raconté qu'il a commencé à aider son père vers huit ou neuf ans, dès qu'il a eu la force de mettre une bûche debout. A douze ou treize ans, il empilait déjà , et c'était au suivant de ses frères à mettre la bûche debout. Quand le canal du Nivernais a été ouvert à la circulation (en 1834), il est allé travailler, toujours comme empileur, sur le port de Cercy-la-Tour où il y avait moins de morte-saison qu'à Clamecy. Il y est resté plusieurs années, seul de sa famille à empiler, et c'est là qu'il a appris à lire et à écrire. Il y était encore à 21 ans et, la veille du tirage au sort, il est venu de Cercy à Oudan à travers bois et prés, en sautant les échaliers, faisant ses 60 ou 70 kilomètres en une journée.
Il était content de son sort et avait coutume de chanter :

Les empileurs sont pires que les évêques.
Empilons-ci, empilons-là ,
Et la pil' ell' tiendra.



L'été

Vers le 15 juillet, la "mise en état" des bois est donc terminée sur les ports. L'évènement se fête par une manifestation bien particulière : les joutes.

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- Malgré la longue période de chômage due à une activité trop saisonnière, les flotteurs savaient s'amuser et les rues de Clamecy voyaient éclater cette joie et cette gaieté naturelles d'un petit monde heureux de vivre et d'exprimer une joie et un entrain qui se manifestaient surtout lors des fêtes. La fête patronale de la Saint Nicolas était la plus marquante et la plus suivie.
Depuis le XVIIIème siècle, la joute sur l'eau restait la plus appréciée des flotteurs; elle était l'occasion de lutter en une sorte de tournoi moderne, en public et sur l'eau, cet élément quotidien dans le cadre de vie des flotteurs.
Les joutes ont lieu entre deux équipes: chaque équipe comprend un jouteur monté sur la plate-forme de la barque manoeuvrée par trois hommes, deux rameurs assis et un barreur debout. Chaque jouteur, sans plastron ni bouclier, à l'aide d'une lance dont l'extrémité est munie d'un bourrelet de cuir essaie, lorsque les deux barques se croisent, de faire tomber son adversaire à l'eau. Le vainqueur porte le nom évocateur de "Roi Sec", tandis que son malheureux adversaire précipité dans l'eau est appelé le "Roi Mou". Le vainqueur est promené en triomphe dans les rues de la ville.

Il ne s'agit pas simplement d'un jeu sportif puisque le vainqueur, le "Roi Sec" sera le porte-parole des flotteurs pour l'année à venir. Que survienne une grève, une émeute, et elles ont été nombreuses, il sera le représentant de ses camarades auprès des autorités.

Les joutes Les joutes Les joutes

Ensuite, deux mois de chômage attendront les flotteurs...
Toute activité n'aura cependant pas cessé sur le port. Les marchands forains y rencontrent les marchands parisiens. Les prix se négocient, les marchés se concluent, les piles de bois changent une nouvelle fois de mains...
C'est ainsi que Clamecy s'est trouvé le Centre à la fois technique, administratif, et commercial de l'approvisionnement de Paris en bois de chauffage et de four.

A Clamecy, les joutes sont encore à l'honneur le jour du 14 juillet.

Extraits de l'épisode N°2 des joutes 2017 (Merci à Clamecy TV)



Les trains de bois

Avec la fin de l'été arrive la période de construction des trains.

Un train de bois est un immense radeau de 75 m de long, 4,50 m de large, de 40 à 60 cm d'épaisseur, et d'une contenance moyenne de 200 stères de bois.
Sa construction, extrêmement complexe, demande environ une semaine de travail à six ouvriers expérimentés.

Recueil de documents tirés des anciennes minutes de notaires déposées aux archives départementales de l'Yonne (XV-XVIII) - Eugène Drot -
1570 (E. 504).
Germain Fouché, de Nailly s'engage envers Martin Lecomte, marchand à Paris , à conduire "par eau par le port d'Aucerre jusques au port des Sélestins à Paris, la quantité de six trains de boys ayant unze couppons, chacun train flotté à troys buches lune sur laultre, montant le tout à unze cents unze mosles de boys à compter soixante busches pour mosle", moyennant 21 l. 10 s. chaque train.
1570 (E. 394).
Engagement par Thiénon Corot et Blaise Dandeau, de Coulanges-sur-Yonne, de mettre en trains pour le compte de Régnier [René] Arnoul marchand à Paris, tous les bois qu'il peut avoir sur le port de Merry-sur-Yonne, pour le prix de 13l. 5 s. t. par train ; chaque train "ayant unze couppons flotté à troys busches lune sur laultre, et chacun coppon de la longueur accostumée, et rendre iceulx trains hault et droit, prest à monter les compagnons pour les mener à Paris" et à la charge par les dits Corot et Dandeau de fournir tous chantiers et rouettes qui seront nécessaires, et deux perches non ferrées pour la conduite de chaque train.
1570 (E. 394).
Engagement par les mêmes envers le même, de conduire en flotte et en trains, à leurs risques et périls, de Merry-sur-Yonne à Paris, au port des Célestins ou à celui de la Tournelle, tous les bois que le dit Arnoul peut avoir sur le port du dit Merry, pour le prix de 26l.1.t. par train. Chaque train se composera de "unze couppons, flotté à troys busches lune sur laultre et chacun coppon de longueur accoustumee".

Un train de bois

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- Fabrication des trains de bois - Cette technique de construction remonte au XVIème siècle : c'est le 20 avril 1547, avec l'aide de Charles Lecomte maître d'oeuvre de la charpenterie de l'Hôtel de Ville de Paris et de ses compagnons que le premier train de bois lié et garotté arrive à Paris.
Les trains de bois, grands radeaux, mesuraient de 72 à 75 m de long pour environ 5 m de large. L'ensemble se composait d'environ 20 décastères de bois. Les trains étaient faits de deux parties principales égales appelées parts, constituées chacune de 9 coupons formés de 4 couches de bûches superposées. Les coupons étaient assemblés par des rameaux de bois vert "les chantiers" liés par des branches souples "les rouettes". Là , apparaissait un creux, sorte de panier que l'on remplissait de bûches bloquées entre elles par des bûches plus minces enfoncées à force avec un maillet. Dès que les différentes parties - "les coupons" - étaient terminées, elles étaient poussées à l'eau et assemblées entre elles.
Les extrémités des trains étaient allégées grâce à l'emploi de bois légers comme le bouleau qui évitaient au radeau, dans les rapides modestes mais fréquents entre Clamecy et Auxerre, de plonger et de se ficher sur les hauts fonds. Le train de bois était un assemblage solide mais souple et tout à fait apte à s'adapter aux sinuosités du parcours entre Clamecy et Paris.

En 1804, année où le flottage était à son apogée, 3535 trains semblables ont été confectionnés autour de Clamecy, 1051 à Vermenton. L'ensemble représentait près de 90% du bien consommé à Paris !

Construction d'un train de bois - La branche -

— Qu’est-ce qu’il fait l’Henri ?
— Il vient de finir son atelier. C’est là -dessus qu’il va construire la première branche.
— C’est quoi une branche ?
— Une branche, c’est la plus petite partie d’un train de bois, l’assemblage de base. Tu vas voir. Quatre branches de front, ça fait un coupon. Neuf coupons les uns derrière les autres, ça fait une part et deux parts accouplées à la suite l’une de l’autre, c’est un train.
Le Matoué continuait de tordre des rouettes de toutes tailles et François continuait ses ratages.
— Si tu en rencontres une que tu as du mal à tordre, tu peux la chauffer un peu au-dessus du feu, ça t’aidera.
Quand Henri se remit au travail, il installa deux longs chantiers sur les perches dont il avait fait son atelier, et les écarta d’environ quatre-vingts centimètres l’un de l’autre. Puis sur ces deux chantiers, il commença à empiler des bûches au-dessus de l’espace compris entre les deux premières perches de son atelier. François en oubliait ses rouettes.
P’tite-Brette, l’approcheur, avait, depuis le matin, commencé à amener sur sa drôle de brouette, à chacun des trois compagnons, un grand nombre de bûches qui toutes portaient un sabot gravé au coeur. Ce devait être la marque du marchand pour lequel ils construisaient le train. Et l’approcheur continuait sa ronde sans jamais l’interrompre.
Quand Henri eut disposé plusieurs rangs de bûches jusqu’à plus d’un demi-mètre d’épaisseur, il fit glisser quatre grosses rouettes à deux boucles sur les chantiers, afin de circonscrire son entassement.
— Je t’ai déjà dit qu’une grosse rouette à deux boucles, comme celles que j’ai faites à l’Henri, ça s’appelait une couplière ? demanda le Matoué sans cesser son travail.

Une rouette double : la couplière

Henri prit ensuite deux autres chantiers, les introduisit dans la boucle supérieure des couplières et les laissa reposer sur les bûches.
François regardait depuis un bon moment. Le Matoué vint à son secours.
— Il vient de finir sa première mise et il va attaquer la deuxième. Il a sept mises à faire à la suite pour finir cette première branche.
Henri recommençait déjà à entasser des bûches entre la deuxième et la troisième perche de son atelier.
Mais la Sarpe s’était approché de la première mise d’Henri et commençait à la regarder attentivement, puis, après l’avoir bien observée, il prit une bûche toute droite sur le tas que l’approcheur avait préparé derrière lui et il commença à l’introduire au milieu des autres. Pour l’enfoncer, il se servait d’un gros maillet et il frappait jusqu’à ce qu’elle soit alignée. Il recommença plusieurs fois. Petit à petit, le bois se mit à craquer, les bûches furent formidablement pressurées et la dernière fut longue à enfiler tellement les couplières et les chantiers étaient tendus. Puis la Sarpe se releva pour voir sur les autres ateliers s’il était temps pour lui d’intervenir. Mais le Galopiaud et le Moulot n’étaient pas encore rendus au bout de leur première mise.
— Tu vois, dit le Matoué toujours en tordant des rouettes, c’est du garnisseur que dépend la solidité d’une branche. Tout doit être calé et serré pour ne pas risquer de se défaire quand le train sera sur l’eau.
...
— Qu’est-ce qu’il fait ?
Le Matoué ne savait faire autre chose que de sourire.
— Pourquoi ne met-il plus des bûches de frêne et de hêtre ?
— Le Moulot ne va construire maintenant que des branches qui feront les coupons à la tête et à l’arrière des parts. Le devant et l’arrière, il faut les alléger pour que le nez du train ne pique pas en avant dans les courants ou en passant les pertuis. Tu verras comme on remonte encore le nez davantage. Mais déjà , on met du bois léger à l’avant et à l’arrière pour que les parts puissent bien passer la vague.
Les flotteurs de Clamecy étaient bien les gens les plus savants qu’il eût jamais rencontrés!
— Et le pieu qu’il met sur le côté, c’est quoi ?
— C’est une nage. II va en lier une aux quatre coins des parts, à l’extérieur de la branche de rive.

- Extraits de "Les Etangs de Marrault" Francis Farley -

Description de la construction des trains de bois flotté, empruntée à Delamarre - 1719 :

"La manière de construire ces trains de bois est d'un grand travail. Chaque marchand a son marteau dont il marque toutes les bûches à l'un des bouts, ce qui est facile, parce c'est tout bois coupé à la scie; ces bûches sont d'abord jetées à bois perdu dans les ruisseaux; ils les font pousser par des gens de journée jusqu’a Vermenton sur la rivière de Cure, ce qu'ils appellent le premier flot; le tout étant arrivé en cet endroit-là , et arrêté par des cordes ou des perches qui traversent cette petite rivière, le bois en est tiré, chaque marchand reconnaît le sien et le met en pile sur la terre, l'y laissant essuyer pendant deux ou trois mois. Ils l'assemblent ensuite par coupons qu'ils rejettent à l'eau, les conduisent jusqu'au port de Cravan, et là ils forment leurs trains, en joignant entre des perches qu'ils nomment branches, plusieurs coupons de 60 bûches chacun qui sont attachés à ces perches ou branches, avec des harts que les marchands appellent rouettes; chacun de ces trains ayant ordinairement de large 14 de ces coupons, de profondeur de deux à trois pieds, et de long de 12, 15, 18 et les plus longs 25 toises. Le coupon de devant et celui du milieu sont ordinairement de bois blanc et on ajoute une futaille à chacun de ces endroits pour faciliter le flottage."

Train de bois

Encyclopédie Méthodique - Arts et métiers mécaniques - 1784
"Flottage en trains de Bois" ou la construction d'un train de bois + le vocabulaire de l’Art du Flottage en trains de Bois



Le voyage vers Paris

Le départ des trains se faisait grâce à des crues artificielles provoquées par le lâchage successif des eaux des différents pertuis répartis entre Armes et Régennes, près de Joigny (89).
L'Yonne étant encore sur ce parcours torrentielle et sinueuse, recourir à un tel procédé était indispensable.

Perthuis - Pertuis

Pour approprier les rivières au flottage, on fit construire dans les endroits les plus propices aux retenues d'eau, des barrages nommés perthuis.
Ces perthuis consistent simplement dans un goulet pratiqué au milieu du cours de la rivière, fermé par un barrage en bois composé d'une grande et forte poutre transversale, qui sert à soutenir des palettes dont le bout supérieur s'appuie sur elle et le bout inférieur sur le fond de la rivière, serrées près les unes des autres de manière à intercepter le passage de l'eau; au-dessous de ce goulet s'étend uue fosse large et profonde.
Lorsque la retenue d'eau est jugée suffisante, on pousse les trains de la berge au milieu du courant les palettes sont enlevées, la grande barre transversale est tournée sur un pivot, dans le sens de la rive. Alors se présente un spectacle véritablement intéressant l'eau se précipite à gros bouillons dans la large fosse creusée sous le perthuis en fuyant, elle détermine en amont un rapide courant, et les trains se sentent fortement attirés dans le goulet.

Passage du perthuis de Clamecy
Passage du perthuis de Clamecy

Passage du perthuis

Les deux flotteurs, l'un à la tête, l'autre à la queue du train, cessent nécessairement toute manoeuvre, se tiennent debout, les bras ordinairement croisés sur la poitrine, et se laissent emporter à travers les tourbillons. Au moment où le train remplit de son volume l'étroit passage du perthuis, l'eau ne trouvant plus d'issue libre, bouillonne davantage, s'amoncèle en grondant à l'arrière du train, le pousse, pour se précipiter dans la grande fosse, le soulève en relevant l'arrière à 1 mètre de hauteur et retombe avec lui, en formant une vague semblable à celles du littoral de la mer. Quelquefois les flotteurs voient l'eau courir sur la surface du train jusqu'à leurs pieds, et les forcer à se réfugier sur un petit tertre en terre disposé au centre pour recevoir leur cabane de paille et les feux qu'ils allument pendant la nuit.
Plusieurs d'entre eux ont eu, dans ces dangereux passages, les doigts pris et coupés entre les bords du perthuis et le train; plus d'un eut la jambe broyée, plus d'un y perdit. la vie. Il faut une grande adresse et une longue habitude pour franchir heureusement ces courants; mais on comprend quelle impulsion doit recevoir le train par la masse de toute cette eau accumulée à l'arrière, et par toute la force de la chute, ménagée cependant à un degré suffisant pour ne pas briser les liens des bûches.

Il est là , sur la surface rase de son train, les pieds dans l'eau, le ciel sur la tête, s'en allant comme un insecte embarqué sur une écorce au courant et presque à la merci du fleuve. C'est surtout durant les nuits nuageuses de l'été que la situation du flotteur est précaire et aventureuse.
Autour de lui tout est noir, et le ciel, et la terre, et l'eau, et son train ; il ne sait plus où finit l'étroit plancher qui le porte ; le pas qu'il commence, il peut l'achever au fond de la rivière ; il ne distingue plus les pertuis ; les bruits des flots qui se précipitent, comme une foule impatiente et tumultueuse, par ces étroites portes, l'avertit seul de leur présence. Il faut qu'il affronte sans le voir, le gouffre qui hurle devant lui, comme un cirque plein de bêtes féroces.
Il est près des ponts et il ne les aperçoit encore que comme une barre de roches qui lui ferme le passage ; leurs noires arches, au delà desquelles il n'y a point d'azur, lui apparaissent comme les portes gigantesques d'une caverne sans issue qui dévore le fleuve tout entier. S'il dévie un peu trop à droite ou un peu trop à gauche, le train se brise et l'homme est perdu. Je me trompe, l'homme n'est pas perdu, rien ne se perd dans la nature. Les gardes du commerce, en pêchant les bûches qui continuent libres et isolées, comme des déserteurs, leur voyage vers Paris, retirent de l'eau son cadavre : ils arrachent à l'Yonne qui gronde encore sa proie à moitié dévorée, et on donne au pauvre compagnon de rivière un tombeau dans quelque cimetière du rivage.

- Claude Tillier - Journal L'Association, n° du 18 avril 1841 -

Chant des flotteurs

Chant des flotteurs

Débouchez Arm's et Clamecy,
La Forêt, Coulanges, Crain et Lucy,
Magny, Merry, Mailly-l'Château,
L'Bouchet, Mailly-la-Vill', les Dam's-Trucy,
L'Pré-Gilbert, Maunoir, Rivault, Vincell's, Bailly,
Vaux et Augy,
Les petits pertuis d'Auxerre aussi.

Cette chanson ((Recueilli par A. Millien et noté par J.G. Pénavaire, en 1880, auprès du père Gaudet, ancien flotteur à Clamecy.) appartenait au répertoire des compagnons de rivière, c'est-à -dire des flotteurs chargés de conduire à Paris les trains de bois formés dans les petits ports de la région de Clamecy : Armes, Clamecy, Pousseaux, Surgy, Coulanges-sur-Yonne, Crain, Lucy et Chàtel-Censoir.
On conçoit l'importance qu'avait pour le compagnon de rivière la connaissance exacte de tous les pertuis, et la chanson énumère ceux qui s'échelonnaient d'Armes à Auxerre.


Manœuvre du train

La manœuvre du train consiste dans le maniement de deux grosses perches munies d'une forte pointe en fer; chaque flotteur plonge sa perche au fond de l'eau en arqueboutant le haut sous le bord du train, un peu en avant, de façon à ce qu'elle puisse l'enlever et le rejeter de côté lorsqu'il arrive sur le sommet de cette perche. Ce mouvement le fait nécessairement dévier et le replace au milieu du courant lorsque les irrégularités de la rivière l'en éloignent; semblable manouvre est faite par chacun des deux flotteurs, tant à l'avant qu'à l'arrière, en sorte que le train se courbe selon les sinuosités les plus prononcées, en accélérant sa marche, et se dirige en ligne droite sur les goulets des perthuis ou sous les arches des ponts c'est le courant qui fait le reste en l'emportant avec lui. Les flotteurs nomment leurs grosses perches ferrées les perches d'avalant; le fait de les manouvrer se dit bouter.

Quelques dizaines de "parts" (demi- train) étaient emportés à la fois et assemblés en route, à une dizaine de kilomètres de Clamecy, dès que la rivière s'élargissait. " On couplait " alors 2 trains, afin qu'ils continuent le voyage sur une eau plus calme.
Si tout allait bien, le voyage pouvait durer 10 à 15 jours sinon...
Les flotteurs devaient être de rudes marins, parfaitement aguerris aux nombreux dangers de la rivière : les pertuis, les piles des ponts, une navigation d'autant plus active que l'on se rapprochait de la capitale...

A Auxerre, " le petit homme d'arrière ", un garçon de 14 à 15 ans qui aidait le flotteur placé à l'avant du train sur la partie la plus difficile du parcours, descendait et rejoignait à pied Clamecy.

Avec le jour, les eaux commencèrent à monter.
— Le meneur d’eau a dû ouvrir les gautiers, dit Henri.
— Les gautiers, c’est les vannes qui ferment les pertuis, précisa le Matoué à destination de François.
...
— Prends cette perche-là , dit-il à François.
François, sans trop oser se déplacer, ramassa la perche qu’Henri lui désignait.
— Plante-la dans la berge à l’arrière et pousse.
Rien ne se passait jamais comme le petit l’avait rêvé. Il y avait tellement de choses à voir, à faire, à sentir, autour de lui, comme au dedans, rien ne se fixait, tout passait trop vite, insaisissablement.
Henri était allé à la tête du train pour pousser et sur la berge, le Galopiaud, le Moulot et le Matoué poussaient aussi. Déjà le train s’était éloigné et gagnait le milieu de la rivière. ... Le courant, presque sans se montrer, les emportait doucement. Pourquoi tous ces gens étaient-ils là ?
— Pousse un peu de l’arrière pour nous redresser, dit Henri, il va falloir bien maintenir le train dans l’axe du pertuis. Tu vois, il est là .
Comme ils étaient assez éloignés l’un de l’autre, Henri était obligé de parler fort, mais il ne parvenait pas vraiment à réveiller son petit compagnon.
— Attention, pousse encore !
Il paraît que le petit faisait ce que lui demandait l’autre.
Au fur et à mesure que le train approchait du pertuis, il prenait de la vitesse et on entendait l’eau.
— Encore un peu !
Henri était maintenant obligé de hurler pour se faire entendre. En deux coups de perche, il engagea la tête du train dans l’engorgement. Il n’y avait pas grand-place pour une erreur d’alignement. Le train prit tout de suite une vitesse folle.
— Tiens-toi, hurla Henri !
Le train se mit à craquer de toutes parts, à être secoué et tordu. François crut qu’il allait mourir. D’instinct, il s’était accroché à la fausse nage de ses deux mains, mais il avait lâché sa perche qui fut éjectée et qui partit dans la rivière. Il n’eut même pas le temps de s’en rendre compte et encore moins de remarquer les gens sur le pertuis qui leur faisaient au passage des adieux avec les bras.
Quand le train fut sorti du pertuis, François mit un long moment avant d’oser lâcher la fausse nage qui lui servait de tuteur et il ne le fit que lorsqu’ils eurent perdu de la vitesse. A nouveau, la rivière était large et calme et le train semblait ne plus avancer. C’était à croire qu’il avait rêvé les dangers. Le premier regard de François fut pour le port de Clamecy. Il ne le voyait plus. Il avait perdu son ami. Son second regard fut pour Henri qui, en deux coups de perche d’avallan, avait donné au train la bonne direction. Il semblait calme. Il se retourna vers lui.
— Où est ta perche ?
François regarda tout autour.
—Je ne sais pas.
Henri, toujours armé de la sienne, remit une fois encore le nez du train dans le courant, puis il vint à François, prit une perche sur le tas et la tendit au petit qui n’osa que deux pas pour aller au-devant d’elle.

- Extraits de "Les Etangs de Marrault" Francis Farley -
Train de bois arrivant à Paris
Jacques Gomboust - Cartographe - Lutetia, Paris, 1652
Société scientifique de Clamecy

- Peu avant Paris, vers Charenton, un pilote parisien qui connaissait bien la Seine remplaçait les pilotes venus de Clamecy (où ils repartaient à pied) et conduisait le train de bois à l’lle-Louvier, au quai de la Tournelle ou au quai de la Râpée où il accostait. Le train de bois était alors livré aux débardeurs — sortes de dockers — qui démontaient les trains de bois bûche à bûche, brossaient et nettoyaient celles-ci et les empilaient en immenses piles, qui portaient le nom de théâtres.

    Sur le plan de Jacques Gomboust, édité en 1652, on peut voir, au milieu de la Seine, au large du couvent des Célestins et de l'Arsenal une île qui n'existe plus aujourd'hui. Il s'agit de l'île Louviers, ou île des Javiaux. Elle tiendrait son nom de Nicolas de Louviers, prévôt des marchands en 1468-70, qui en était propriétaire ("Javiaux" provient de "javeau" qui désigne un amas de sable et de limon). Elle était louée à des marchands de bois et servait de lieu de stockage du bois.

    En cliquant sur le plan, ou ici, vous pourrez voir les trains de bois qui arrivent en nombre à l'île Louvier et, en haut de ce plan, aux "Chantiers de Boys flotté à brusler"

Train de bois arrivant à Paris


Un peu de vocabulaire...

Armure : Bûches ou pieux plantés sur les rives des ruisseaux en rivières flottables pour empêcher le flot de bois de s'écarter de leur route.
Assemblage : Réunir des branches pour en former les coupons et ces derniers pour compléter un train.
Bachot : Bateau de 18 à 30 pieds de long (5 m et 9 m) servant tant au flottage à bûches perdues qu'en train.
Canards : Bois trop lourds qui au lieu de flotter tombent au fond.
Chevalet d'arrêt : Arbre de la plus grande dimension qu'on arrache et auquel on adapte deux forts bras à un mètre au-dessous de la tête racineuse pour le poser en avant d'un arrêt de flottage comme un cheval de frise. (Chevalet semblable visible sur une aquarelle fin XIXe siècle, par Thiaut, musée de Clamecy).
Coupon : 4 branches forment un coupon; il faut sur l'Yonne 18 coupons par train.
Croc : Instrument pour pousser le bois ou le tirer de l'eau.
Éclusées : Eaux retenues par les vannes et pertuis des ruisseaux et rivières qui se lâchent à heure fixe pour la navigation des trains et bateaux.
Engrave : Train ou bateau arrêté en pleine rivière faute d'eau.
Garnisseurs : Jeunes gens ou jeunes filles chargés d'introduire des bûches à coup de mailloche dans les branches d'un train au fur et à mesure que le flotteur les établit.
Jeteurs : Ouvriers qui jettent au porteur, posté dans le ruisseau, les bois mis au coulage.
Martelage : Marquer les bois dans les ventes et sur les ports.
Moulée : Mot générique pour désigner le bois de chauffage.
Pertuis : Grande vanne ou écluse pour retenir les eaux sur les rivières de flottage.
Picot : Outil de flotteur pour tirer le bois de l'eau.
Poules d'eau : Ouvriers qui doivent se tenir à l'eau quelquefois jusqu'à la ceinture, de novembre à février pour pousser la queue des flots avec leurs longs crocs.
Théâtre : Plusieurs grandes piles de bois réunies ensemble dans un chantier, séparées par le bas par des forains à hauteur d'homme ainsi que par des bûches qui les couvrent appelées casse-cou.
Tirage : Mettre sur la rive le bois arrivé par flot ou par train.
Train : Radeau de bois de chauffage, charpente... etc.
Traverse : Bois de hêtre flotté et fendu appelé à Paris bois de gravier.
Tricage : Mettre séparément le bois de chaque marque.

D'après Traité général de statistique, culture et exploitation des bois.
Jean-Bazile Thomas, t. II Paris, 1840



Quelques dates

1520 : François Ier interdit aux propriétaires de détruire leurs forêts riveraines de ruisseaux flottables.
1546 : Duffroissez échoue dans son écoulage sur la Cure.
1547 : Charles Leconte réussit à conduire un radeau de Châtel-Censoir à Paris.
1549 : Jean Rouvet finance les essais de Sallonnyer.
1564 : Henri II délivre des Lettres Patentes à Guillaume Sallonnier, marchand à Moulins-Engilbert, pour équiper la Cure afin de flotter ses bois.
1598 : C'est la mise au point de la construction des trains et le début du martelage des particuliers.

1648 : Le Duc de Damas, Seigneur de Crux-la-Ville, détourne les eaux de la Loire pour les amener dans le Beuvron et flotter ses bois de Crux, Moussy et Tronçais.
1672 : C'est la promulgation des Ordonnances dites de Colbert qui règlent plusieurs problèmes liés au flottage.

1726 : Après l'écroulement du pont de Gravant, le Commerce de bois s'installe à Clamecy.
1732-1737 : l'Abbé Delagrive fait un relevé de tout le bassin de la Seine où il indique que les premiers trains sont construits en aval de Coulanges-sur-Yonne.
1740 : Ouverture des ateliers à Clamecy.
1743 : Les premiers documents conservés à la Bibliothèque Municipale de Clamecy donnent un aperçu du mécanisme des flottages.
1764 : La révolte des marchands du Morvan provoque la création des Commerces sur la Haute-Yonne, le Beuvron et la Cure.
1789 : Le Commerce de la Haute-Yonne prend les bois depuis le Châtelet et sur tous les affluents. Il achète l'eau de certains étangs.
1791 : Creusement, à Clamecy, du Canal des Marchands pour séparer les flots de l'Yonne et des Petites Rivières.
1799 : Sur les ports du bas (Vaux d'Yonne et Vermenton) les bûches sont empilées en décastères.

1822 : C'est le début de la dynastie des Létouffé, dont trois générations seront Commis Généraux pendant un siècle.
1825 : Les trois Commerces adoptent un règlement et se transforment en Compagnies : Cure et Petites Rivières.
1834 : La Compagnie de la Haute-Yonne est crée en complément des Compagnies : Cure et Petites Rivières.
1841 : C'est l'inauguration du Canal du Nivernais, qui ne conduit qu'à Auxerre.
1875 : La liaison fluviale avec Paris est enfin réalisée et les bateaux chargés peuvent livrer sur les quais de la Seine.
1880 : Les trains sont interdits sur la Basse-Yonne. Le flot unique (100 000 stères) arrive au printemps, et les bûches sont chargées sur les bateaux. On invente les margotins.
1889 : C'est l'année de la première affiche pour la Foire aux Bois de Château-Chinon, vers la Toussaint.
1893 : Le flottage cesse sur les "Petites Rivières"
1894 : C'est la création des usines de carbonisation à Clamecy et à Crain et nouvel espoir d'exploitation des forêts du Morvan.

1923 : Le dernier flot arrive à La Forêt,ce qui marque la fin du flottage à bûches perdues sur la Haute-Yonne.
1939 : Les derniers bateaux livrent à Paris.
1943 : 3 à 4000 stères sont flottés sur l'Oussière pendant l'Occupation.



Le flottage

Louis de Courmont (1828-1900)

Hurrah ! Le flottage bouillonne
Et se rue au courant de l'Yonne !

Les arbres verdoyaient l'espace,
Mais le cri des bûcherons passe:
" A mort le chêne et le bouleau ! "
La hache frappe à la racine;
C'est la forêt qu'on assassine !
Ses membres sont jetés à l'eau !

On les voit se choquer, se battre,
Furieusement se débattre
Dans l'écume du tourbillon !
D'aucuns se sauvent sur la rive,
Mais le croc de fer arrive,
Qui les ramène en leur sillon.

Chaque affluent, sur eux, déverse
Son flot brutal comme une averse;
Sous les ponts, à demi-broyés,
Ils traversent les prés, les villes,
Et passent, sinistres, par files,
Comme une chaîne de noyés !

Où vont-ils ? Où le flot les porte :
A Paris !... Au Havre !... Qu'importe ?
Pour eux, le calvaire est pareil !...

Mais, quand viendra l'hiver morose,
Quand, avec la dernière rose,
Pâlira le dernier soleil,

Les chants dont leur sève est imbue
Et la lumière qu'ils ont bue,
Sous le grand ciel, dans le taillis,
S'épancheront au fond de l'âtre,
En gerbe brillante et folâtre,
En blanche écume, en gazouillis !
Et la forêt qu'avril décore,
Revivra pour charmer encore
Là sur son bûcher éclatant.
Tel est le poète, dont l'âme
Eclaire et chauffe de sa flamme
Et qui se consume en chantant !

Hurrah ! Le flottage bouillonne
Et se rue au courant de l'Yonne !



La fin du flottage et des flotteurs à Armes

Témoignage et documents dus à M. Lucien Lamoureux. Tiré du livre de Jean-Claude Martinet

Le dernier grand flot tiré à Armes a été celui de 1923. Tirage, tricage et empilage ont occupé vingt-neuf ouvriers et ouvrières pendant trois mois, de fin février à fin avril.

Ces ouvriers travaillaient de 10 à 12 heures par jour, et étaient payés à la tâche (au stère). Au moment de l'embauche, chacun discutait individuellement le montant du salaire avec le patron. Le flotteur resta ainsi, et jusqu'à la disparition du flottage, plus proche, par sa soif d'indépendance et son individualisme, de l'ouvrier agricole que de l'ouvrier d'usine. Il n'existait encore aucune forme de syndicalisme au début du XXème siècle, selon M. Lamoureux, et la seule association était la Confrérie de Saint-Nicolas, dont la fonction était celle d'une Mutuelle, avec cotisation, et aide aux malades, aux orphelins, etc. La Confrérie d'Armes a disparu vers 1967 ; celle de Clamecy subsiste toujours.
Selon M. Lamoureux, si les ouvriers n'étaient pas syndiqués, ils se réunissaient cependant entre eux pour discuter, s'organiser et exiger des augmentations, voire déclencher la grève. Mais cette grève durait un jour ou deux, et, nous dit M. Lamoureux, « le patron donnait une bouteille et les grévistes reprenaient le travail ». Il faut dire que la raréfaction du travail liée à l'agonie du flottage ne constituaient pas des conditions idéales pour l'organisation de luttes plus amples et plus durables.

Voici la liste des derniers ouvriers et ouvrières d'Armes qui ont participé au tirage du flot de 1923 :
Garde-port et surveillant : Pierre Letouffé.
Tireurs et empileurs : Seutin Philippe, Bouché dit « Le Grand », Bouché Athanase, dit « Le Combat », Ducrot Pierre dit « l'Amiral », Ducrot Aristide dit « l'Aristo », Grizet, Mazé Eugène dit « Le Lapin », Lault Eugène dit « Carpette », Robin dit « Le Loup », Lamoureux Lucien, seul survivant, dit « La Butte », Georgette Lefrère, Rose Boubet, dite « La Néron », Berthe Noé, Charlotte Lault dite « Lolotte », et son fils dit « La Mouette », deux vieux garçons surnommés « Les Mours », et douze espagnols.

Et Lucien Lamoureux ajoute : « Nous avions droit à un ticket par jour de travail pour un fagot (un « fas »). Ce fas était fait de 8 à 10 bûches rondes que l'on surnommait « rondinaille »... A l'heure du casse-croûte, autour d'un bon tas de braises l'on faisait chauffer les chaudrons que l'on mangeait de bon appétit, le repas arrosé d'un coup de rouge que Robin allait quérir à Chevroches, car on buvait sec... les pieds dans l'eau, cela donne soif. C'étaient de bons camarades un peu gueulards, mais un cœur d'or, prêts à rendre service, et surtout de bons Républicains convaincus, qui avaient l'amour du travail de flotteur... ».



Sources

Page réalisée sur la base des documents :

Bois de chauffage - l'Encyclopédie, ou Dictionnaire Raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers de Diderot et d'Alembert
La Nièvre industrielle - Victor Cladiere
Sur la route des flotteurs de bois - réalisé par le Comité régional du Tourisme de la Nièvre
Une vielle industrie du Morvan - Le flottage à bûches perdues - Février 1892 par J. Prévost - Bulletin de la Société d'études d'Avallon 1890-1893
Du Morvan à Paris, avec les flotteurs de bois - Ministère de l'Eduction Nationale - C.N.D.P - RVE 57
Clamecy et ses flotteurs - Jean-Claude Martinet - 1995
Les Français peints par eux mêmes - Edouard Seguin
Folklore du Nivernais et du Morvan - Tome III - Jean Drouillet
Les aménagements hydrauliques liés au flottage du bois, leur impact sur le milieu fluvial XVIe-XVIIIe siècles - Paul Benoit, Karine Berthier, Philipppe Boà«t, Charles Reze
Le flottage sur la Cure & les 2 témoignages - Texte établi par la commission "Arts & Artisanat" de "Lai Pouèlée" à la suite de recherches faites en 1978 et 1979 - L'Almanach du Morvan 1980
Recueil de chants populaires du Nivernais - Sixième série - Paul Delarue et Achille Millien
Les Etangs de Marrault - Roman de Francis Farley - 1987
Photo des anciens à la casquette noire issue du livre : Les Chaumières du Morvan (page 103) - Philippe Berte-Langereau - 2005
Cours de la Seine et des rivières et ruisseaux y affluant levé par M. l'abbé de Lagrive entre 1732 et 1737
Recherches sur l'histoire de Châtel-Censoir - E. Pallier - 1880
Rapports du Préfet, procès-verbaux des délibérations - Conseil général de la Nièvre - 1er juillet 1882
Musée des familles (Ed. populaire hebdomadaire) - Le flottage dans le Morvan - Marie De Fos - 26 décembre 1895
Atlas historique de Paris