Mort prématurément à l´âge de quarante ans, Juan Gris (1887-1927) est considéré, aux côtés de Picasso et de Braque, comme l´un des meilleurs représentants du cubisme. Cela n´est pas faux ; encore faudrait-il préciser de quel cubisme il s´agit.
Vouant à Picasso une admiration sans bornes dès 1906, son Portait de Picasso de 1912 est un incontestable chef-d´oeuvre (ci-contre). Mais ce tableau montre déjà que Juan Gris prend ses distances avec le cubisme première manière dit "cubisme analytique". La fragmentation de plus en plus poussée des objets et des portraits dans laquelle s´engagent à l´époque Braque et Picasso est en effet telle que le cubisme s´oriente de plus en plus vers l´incompréhention et l´hermétisme le plus total. Le tableau dit L´Aficionado - ou le Torero - (1912) de Picasso en est un bon exemple (Ci-dessous à droite).
La démarche de Juan Gris est tout autre, et permet sans conteste de sortir le "cubisme analytique" de l´impasse. Ce sera le "cubisme synthétique".
Comme pour Braque et Picasso, Juan Gris porte sa réflexion sur la forme. À une différence près, et qui est de taille : il cherchera toujours à ce que la forme qu´il donnera à l´objet ne cesse d´être claire. La période des papiers collés, intense et riche de recherches formelles, lui permettra d´approfondir la ligne et la couleur, donnant à l´objet toute sa force et son volume. Ainsi Le Journal (1916). À l´opposé de Braque et Picasso, il ne s´agit donc pas de morceler l´objet à l´infini pour lui donner sa place dans l´espace, mais au contraire de le re-créer en une synthèse véritablement organique. C´est dire que pour le peintre, l´observation pure et simple de l´objet n´a plus grand sens, même si celui ou celle qui regarde le tableau se doit, au bout du processus, de reconnaître l´objet représenté. D´où la maitrîse et l´équilibre qui se dégagent des toiles de cette période. La série des Pierrots et des Arlequins de 1919 en sont de bons exemples, et notamment celui reproduit ici : Pierrot (1919).
De lui, autant grâce au sourire énigmatique de l´enfant que grâce aux ondulations chromatiques qui prolongent sa tête, se dégage une force d´autant plus grande et sereine qu´on soupçonne en le regardant qu´il sait l´importance qu´il convient de donner au silence.