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Maîtres anciens - Comédie

© Photo Y.P. -

© Photo Y.P. -

Vienne, les multiples objets de son ressentiment !

Ressentiment ? Le mot est encore trop faible, concernant Herr Reger, critique musical autrichien de renom, qui parfois publie dans le « Times » !

Herr Reger est un « détestateur du monde », comme le qualifie Gerold Schumann, l’adaptateur et le metteur en scène très inspiré de ce roman de Thomas Bernhard.

Vous saisissez, vous appréhendez le concept de « détestateur du monde », celui qui hait le monde dans lequel il vit ?
Figurez-vous que c’est encore bien pire que ce vous pouvez imaginer dans vos pensées les plus jusqu’au-boutistes !

Depuis maintenant de nombreuses années, Reger dirige ses pas un matin sur deux vers le Musée d’art ancien de Vienne, et plus précisément dans la salle Bordone.
Et encore plus précisément, il s’assied juste devant le tableau du Tintoret « L’homme à la barbe blanche « , une toile représentant la vieillesse et la mort.
Depuis de très nombreuses années.

Là, il se livre à de virulentes attaques contre tout ce qui lui tombe sous la main.
La corruption qui règne dans le monde de l’art, l’État autrichien (surtout...), Mozart, Beethoven, Bach, Bruckner, les pédagogues qui corrompent les enfants, le Pape, l’église catholique, les politiciens, la justice, les maîtres anciens qui « enjolivent le monde », j’en passe et bien d’autres…

(Une petite parenthèse : la vision de la chose politique et surtout du pouvoir en place de Reger est d’une troublante actualité, nous autres dont notre président veut « emmerder » une partie de ses concitoyens…)

Et puis, un jour, la mécanique de fiel se dérègle. Le rituel de la diatribe est rompu.

Avec ce roman publié en Autriche en 1985, puis en 1988 en France (il recevra le Prix Médicis du livre étranger), Thomas Bernhard, dans un premier temps, nous dit sa détestation de son pays.
Toute la logorrhée de critiques dans la bouche de son héros constituent la vision apocalyptique qu’il a de son pays.

(On se souvient au passage de la fulgurante sortie de l'écrivain, lors de la remise d’un prix autrichien : « Nous Autrichiens sommes apathiques ; nous sommes la vie en tant que désintérêt général pour la vie. » , provoquant immédiatement la sortie de la salle d’un ministre.)

Et puis surtout, cette œuvre se situe dans un moment particulier de la vie de l’écrivain.
Ce livre est celui qu’il écrit juste après la mort de son épouse.

Adaptation de ce roman pour le plateau, donc.

Gerold Schumann a eu la très judicieuse idée de mettre en scène un deuxième personnage, par le biais d’une voix off à l’accent autrichien prononcé.
Ce personnage de gardien du musée porte un regard sur le personnage principal, ses interventions permettent de mettre en lumière les contradictions, la mauvaise foi (parfois, souvent ?) de cet homme.

Cette voix off constitue en soi un véritable espace, souvent latéralisé dans les enceintes du théâtre, parfois à jardin, parfois à cour. On a l’impression du déplacement de ce gardien dans la salle.
Le parti-pris fonctionne à la perfection.

Et puis un deuxième espace.
Une banquette, devant le tableau que nous imaginons.

Sur cette banquette, François Clavier.
L’admirable François Clavier !

Tout le monde ne peut pas incarner un tel personnage !

Il faut être en possession d’une très large palette de jeu, et surtout d’une réelle capacité à faire émerger la singularité des deux parties bien différentes de la pièce.

© Photo Pascale Stih

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans le premier de ces deux « actes », le comédien va nous faire beaucoup rire. Enormément rire, même.
Et ce, dès les premiers mots.
Il y a quelque chose de jouissif à l’entendre vitupérer, énoncer toutes les énormités proférées par son personnage.
Sans jamais esquisser le moindre sourire lui-même, plissant les yeux pour les ouvrir brusquement lors du climax de ses diatribes, il provoque immanquablement l’hilarité générale.
Le décalage entre le sérieux de son ton, de son maintien un peu rigide, de son attitude altière, presque hiératique, et les outrances énoncées, ce décalage est véritablement formidable !

Grâce à sa façon de nous dire les mots, (et particulièrement en accentuant légèrement la prononciation des noms germaniques), la satire sociale de Thomas Bernhard fait mouche à tous les coups !

Et puis, sans que nous nous y attendions, François Clavier nous dit ce qui motive son personnage, ce qui nourrit probablement son acrimonie.
Et là, nous n’en menons pas large.

Parce que la fiction rejoint évidemment la réalité du décès d’un être aimé. De la personne la plus aimée.

Le comédien m’a beaucoup ému et bouleversé.
La plus troublante des vérités est alors distillée, et nous comprenons.
Lorsque les grands yeux bleus du comédien vous fixent, je peux vous assurer qu’on n’en mène pas large, alors assaillis que nous sommes par une réelle et troublante émotion.

Ne manquez surtout pas cette version cette brillante adaptation littéraire pour la scène du roman de Thomas Bernhard.
C'est un spectacle dont la forme le dispute au fond, et réciproquement, en terme de totale réussite !
C'est une magnifique leçon de théâtre.

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